Sizwe : Quand revivent les fantômes...
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Ecrite, en Afrique du sud de l’apartheid, Sizwe bazi is dead, recouvre une brûlante et universelle actualité.
Un homme lit le journal : nous sommes en avril 2022. Il glisse sur l’actualité, puis s’arrête sur une information en provenance l’Afrique du sud. Il narre, alors, un épisode survenu dans l’usine où il travaille, s’adressant directement aux spectateurs dans la salle. Nous sommes au temps de l’apartheid. Styles, lassé de courber la tête devant les chefs, grands ou petits, décide d’ouvrir un studio de photographe. Il tourne le dos à la salle où les lumières déclinent : une autre histoire commence. Entre un homme, qu’un sourire immense éclairera au moment où explosera le flash de l’appareil. Se déroule, dès lors, l’histoire d’un individu qui change d’identité : Sizwe Banzi, sur les conseil de Buntu qui l’accueille et le conseille n’est plus (Sizwe Banzi is dead) ; il a hérité du nom, de l’immatriculation d’un autre. Il peut à nouveau travailler, se loger, circuler, sans moins d’entraves, sinon en totale liberté : l’Afrique du sud est encore régie par les inhumaines lois d’apartheid.
Dire le monde
La pièce a été écrite, dans les années 1970, par Athol Fugard, dramaturge déjà célèbre, et John Kani et Winston Ntshona, deux Noirs, un Blanc, menant, par l’entremise du théâtre des townships, leur combat pour une nation multiraciale et démocratique. La pièce puise aux deux sources du théâtre de rue, tel qu’il se pratique, sous des formes diverses en Afrique, et du théâtre européen. Ainsi, la première partie, où le comédien apostrophe le public, ressort de la première catégorie, quand la seconde, usant toutefois plutôt des pratiques du théâtre de tréteaux se nourrit de la représentation traditionnelle. Ce théâtre, à vocation sociale, directement utile, trouve, son pendant dans le « Teatro campesino » de Luis Valdez, tel qu’il se donnait en soutien des luttes des ouvriers agricoles de Californie. Il tient également de la « jonglerie populaire » d’un Dario Fo. Le comédien y multiplie les rôles, sur le ton de l’humour, de l’ironie : car il s’agit, toujours, d’allumer, chez un public réuni, parfois, à la hâte, le goût du refus de l’injustice, sinon de la volonté de s’y opposer.
Une usine à rêves
Sizwe Bangi is dead, délivre, à travers les personnages de Sizwe, Styles et Buntu ( ce dernier nom se réfère à l’Ubuntu, concept lié à l’hospitalité, à l’humanité, dans le sud de l’Afrique), quelques messages forts et universels, en notre époque, grosse de guerres, de xénophobie, de replis identitaires. Comment ne pas sentir, dans le parcours de Sizwe, cette bureaucratie étatique tatillonne qui ne vous connaît que comme numéro dans un dossier et dresse des murs, et cet apartheid mental qui gangrène certains esprits, amenant à faire le tri entre les êtres. De ces politiques qui font des individus des invisibles, des fantômes. Le personnage de Buntu est de ces justes, de ces citoyens qui voient dans l’autre, un être humain, rien qu’un être humain, de ceux qui, comme Pasteur disent : « Je ne te demande pas quelle est ta nationalité, ta religion, mais quelle est souffrance ».
Le décor sacrifie au genre du théâtre de rue. Les comédiens procèdent au changement, à vue, d’éléments de bric et de broc, de ceux qui jalonnent les existences des pauvres qui triment pour survivre, tout en nourrissant l’espoir d’une vie meilleure, ailleurs parfois. Le texte, traversé par de lumineux traits d’humour, est magnifiquement servi par les deux comédiens. Ils confèrent à leurs personnages, avec tact, une profonde et touchante humanité. Jean-Louis Garçon, en Styles, amuse les spectateurs : ouvrier d’usine il devient le photographe, qui éveille, par touches subtiles, les rêves de ses clients ; puis il est Buntu, malin, mais foncièrement bon. Cyril GueÏ, Sizwe, au jeu tout de fureur ou de retenue, exprime une immense soif de dignité et d’amour. Une pièce à voir absolument.
Sizwe Banzi is dead
Auteur : Athol Fugard, Jhon Kani et Winston Ntshoma
Mise en scène : Jean-Michel Vier
Avec
Jean-Louis Garçon, Cyril Guei
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu’au 26 avril 2022 au Théâtre de Belleville, Paris 11e (01.48.06.72.34.)
- Le 14 mai 2022 à La Courée à Collégien
- En octobre 2022 à Villeneuve-Saint-Georges
- En novembre 2022 au Théâtre Dunois à Paris