Pupo di zucchero : la danse macabre de la poupée de sucre
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ Comme son titre l’indique, Pupo di zucchero (poupée de sucre), sous-titré La festa dei morti, en italien, est dédié à la fête des morts, commémorée le 2 novembre.
Librement inspiré du recueil du Conte des contes de l’auteur napolitain Giambattista Basile (1566-1632), le spectacle écrit et mis en scène par Emma Dante raconte l’histoire d’un vieil homme, dernier survivant de sa famille, qui dresse la table en l’honneur des défunts, selon la tradition sicilienne. Avec de l'eau, de la farine, du sucre, il pétrit la pâte et confectionne le fameux Pupo di zucchero, ce mannequin de sucre, une statuette aux couleurs vives. Un peu comme au Mexique, où on fête les morts plus que La mort.
Déjà jouée à Avignon (festival), il s’agit d’un exercice de mémoire.. Car, pour paraphraser Marcel Proust, l’absence est la plus grande des présences. Sujet tabou par excellence en Europe, ce n’est pas le cas dans le reste du monde. A Madagascar, par exemple, on va jusqu’à déterrer les morts en famille. C’est l’impression, puissante, déstabilisante, que l’on éprouve à la fin du spectacle. Âmes sensibles s’abstenir… La pièce peut provoquer un malaise existentiel, si on nourrit des idées sombres. Bref, comme catharsis, on ne peut pas mieux faire après la pandémie de Covid-19 et la guerre en Europe.
Mais revenons au point de départ. Le premier tableau s’ouvre sur un vieillard, le nez sur une pâte qui ne « lève pas ». Il invoque les morts de sa famille, tandis que trois femmes font sonner des clochettes, au rythme d’un cœur qui bat de plus en plus lentement, jusqu’à s’éteindre. Pas de décor. Fond noir. Robes noires. Elles sont déjà en deuil. Mais voici que les défunts (une dizaines de personnages) font leur entrée dans la chambre, qui se transforme en une piste de danse, où ils revivent le roman de leur vie. La comédie humaine, avec ses joies et ses drames. Nous sommes à Marseille… Au rayon joie, l’amour évidemment. Avec ce jeune espagnol à mourir de rire tant il en fait dans le genre paon macho (il ne cesse de tournicoter sur lui-même, de manière grotesque, en mimant un torero). Mais il y a aussi le faux amour toxique, destructeur, avec cette bête humaine qui bat sa femme. Et cette française qui attend son matelot d’homme disparu en mer… Chaque jour, elle revient l’attendre au port. En voilà une qui n’a pas fait son deuil. Les acteurs parlent le sicilien, ou le français et l’espagnol. La traduction n’est pas toujours nécessaire tant le jeu des acteurs est visuel. Presque de la commedia Dell’arte, ou du film muet, façon Charlot ou Buster Keaton. Le langage du corps en dit plus que les mots. On crie, on rit, on danse mais on ne pleure pas. La bataille pour la vie prend trop de place pour s’appesantir sur son sort.
Le vieil homme, en évoquant sa famille, les convoque. Cette tradition, toujours vivace, a inspiré Emma Dante de belle manière. Elle est déroutante et émouvante. A la première de la Criée, ce fut un triomphe, salle pleine, des spectateurs debout, et plus de trois rappels. Ces morts qui se réincarnent sous nos yeux, pour tenir compagnie au vieil homme solitaire, ce sont nos morts. Nos ami.e.s, nos proches. Entre rire et mélancolie, l’émotion nous gagne. A moins d’avoir vingt ans et de ne pas se sentir concerné. Il n’est jamais trop tôt pour comprendre les défunts sont plus nombreux que les vivants. Un spectacle fort humainement et beau visuellement. Carpe Diem et Mektoub ! Que sera sera… Hourra !
Pupo di zucchero
Texte et mise en scène : Emma Dante
Librement inspiré du Conte des contes, de Giambattista Basile
Avec Carmine Maringola il Vecchio, Nancy Trabona Rosa, Maria Sgro Viola, Federica Greco Primula, Sandro Maria Campagna Pedro, Giuseppe Lino Papà , Stephanie Taillandier Mammina, Tiebeu Marc-Henry Brissy Ghadout Pasqualino, Martina Caracappa zia Rita, Valter Sarzi Sartori zio Antonio.
Costumes : Emma Dante
Sculptures : Cesare Inzerillo
Lumières : Cristian Zucaro
Assistante costumière : Italia Carroccio
Assistante de production : Daniela Gusmano
Coordination et distribution : Aldo Miguel Grompone, Rome
Surtitres : Franco Vena
Traduction du texte en français : Juliane Regler
Production : Compagnie SudCostaOccidentale
Production déléguée (en France) : Châteauvallon-Liberté, scène nationale Coproduction Teatro di Napoli – Teatro Nazionale, ExtraPôle Provence-Alpes-Côte d’Azur, Teatro Biondo, Palerme, La Criée – Théâtre national de Marseille, Festival d’Avignon, anthéa – Antipolis Théâtre d’Antibes, Carnezzeria. Avec le soutiendu fonds d’insertion pour les jeunes artistes dramatiques de la DRAC PACA et de la Région Sud.
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au dimanche 20 mars 2022 - La Criée (Marseille) - Réservation : 0491547054 / www.theatre-lacriee.com
- Du ven. 25/03/22 au sam. 26/03/22 à Anthéa - Antipolis
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