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Emma Dante : "l'acteur doit toujours s'assurer que ses membres ne s'endorment pas en parlant"

  • Écrit par : Julie Cadilhac

StortecataPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ D'origine sicilienne, récompensée de grands prix internationaux dans différents festivals de théâtre européens, Emma Dante est à la fois comédienne, dramaturge, metteur en scène de théâtre et réalisatrice de cinéma. En 1999, elle fonde à Palerme sa compagnie, Sud Costa Occidentale. Les comédiens de sa compagnie parlent - ou parfois miment - la langue sicilienne, avec des mots qui ne sont pas souvent pas traduisibles en italien, ce qui transparaît à l'oreille comme une sorte de gromelot. 

Elle vient au Printemps des Comédiens montpelliérain présenter "La Stortecata", librement adapté d'un conte napolitain " Lo conto de li cunti " de Giambattista Basile, poète du début du XVIIème siècle. Il y est question de deux vieilles qui attendent la mort en se racontant sans fin l'histoire d'un amour impossible. Au croisement de la commedia dell'arte, de Fellini ou d'une mascarade napolitaine, ce spectacle, pour la première fois joué en France, intrigue autant qu'il porte déjà en lui un parfum d'authenticité, de pittoresque et d'extravagance exaltant. Ajoutons à cela qu'il est porté par une femme engagée et talentueuse et vous n'aurez plus aucune excuse pour passer à côté! 

Giambattista Basile est-il un auteur étudié à l’école en Italie?…Comment expliquez-vous que la postérité ne lui ait pas rendu les mêmes honneurs qu’elle n’a pu le faire pour un Perrault ou un Grimm?

Giambattista Basile a connu un grand succès - certes tardif - suite à l'opéra "La Gatta Cenerentola", en 1976, de Roberto de Simone, qui se basait sur son Cendrillon : un spectacle mémorable qui a résonné en Italie avec un écho énorme.

Qu’est-ce qui vous a séduite dans ces contes du Pentamerone? Pourriez-vous nous parler plus précisément de celui que vous avez mis en scène « Les deux vieilles »?
Ce qui me fascine le plus, c’est la langue, cette vieille langue napolitaine et baroque de 600, avec son ballet brillant de mots, son langage visionnaire et digne des bouffons ; je ne sais pas si la traduction réussira à rendre certaines expressions qui sont toutes napolitaines car c’est déjà difficile à rendre en italien contemporain…mais heureusement le corps est très important aussi dans le spectacle. Un autre élément qui m'a séduite c’est la relation, à la fois morbide et tendre, entre les deux sœurs qui se taquinent tout le temps mais qui ne peuvent pas rester loin l’une de l’autre.

[bt_quote style="default" width="0"]"Ce qui me fascine le plus, c’est la langue, cette vieille langue napolitaine et baroque de 600, avec son ballet brillant de mots, son langage visionnaire et digne des bouffons."[/bt_quote]

emma danteDeux vieilles jouées par deux hommes…qui incarnent, on imagine, tour à tour, les deux narratrices mais aussi les protagonistes de l’histoire qu’elles racontent? Comment avez-vous travaillé avec vos comédiens?

J'ai décidé que l'histoire devait se raconter pour tuer le temps. Attendant la mort, les deux sœurs poursuivent un rêve….et donc tous les personnages sont interprétés par elles deux, elles y croient au point de devenir carrément le roi, la fée ou la belle jeune fille. Au tout début j'ai imaginé le texte à partir des écrits de Basile et ensuite il s’est élaboré à partir des improvisations faites avec les acteurs.

Quelles ont été vos sources d’inspiration pour monter cette pièce?

Ma source d'inspiration, ce sont mes grand-mères. La dernière, Grand-mère Emma, ​​est morte à l'âge de quatre-vingt-dix ans et donc sa vieillesse est restée gravée dans mon cœur. Je ne peux pas l'oublier. La vieillesse peut être terrible ; pas toutes mais certaines …et celle de ma grand-mère était très éprouvante.

Pourriez-vous nous parler des deux comédiens que vous avez choisis? Aviez-vous déjà travaillé avec eux auparavant? Pourquoi convenaient-ils tout particulièrement pour l’univers que vous souhaitiez mettre en place?
Ce sont deux acteurs de ma compagnie. Je travaille presque toujours avec les mêmes acteurs et les mêmes actrices. Carmine et Salvatore sont napolitains et savent très bien jouer le « grotesque » , je savais que je pouvais composer avec eux à partir des mouvements de la commedia dell'arte.

C’est vous également qui avez créé les éléments scéniques et les costumes? Comment sont-ils nés? Les imaginiez-vous déjà ainsi au début des répétitions?
Oui, avec moi, le costume arrive dès le premier jour. Je pensais déjà qu'ils devraient porter des sous-vêtements anciens, avec des corsages informes et des bas voilés noués au genou. Leurs costumes me font penser à ce que portait ma grand-mère.

Emma danteQuel genre de théâtre transporte Emma Dante? un théâtre du verbe? de la transmission? populaire? exigeant?
Le mien est un théâtre où le corps et la parole ne font qu’un, c'est-à-dire qu'il ne peut y avoir de geste sans le mot et vice versa. Il n'est pas possible d'agir sans bouger les bras, l'acteur doit toujours s'assurer que la circulation sanguine est assez fluide et que ses membres ne s'endorment pas en parlant.

Question posée à l’artiste-femme maintenant : vous êtes une femme de théâtre reconnue sur la scène internationale…mais de façon générale, quelle place à la femme dans le milieu théâtral italien? Doit-elle jouer des coudes pour se faire une place? Les rôles de metteur en scène, de directeur de théâtre sont-ils représentés à pourcentage égal?
Il y a encore peu de femmes en Italie à des postes de direction; oui, elles sont rares et nous les soutenons… Nous nous battons pour exiger plus de place pour les femmes. Il y a beaucoup d'hommes médiocres en place et très peu de femmes, mais brillantes. Si une femme veut conquérir un poste dans le milieu du théâtre, elle doit savoir le conquérir, être très bonne, exceller même, tandis que les hommes peuvent se permettre de ne pas avoir de talent ; ils doivent simplement trouver un espace et peuvent travailler sereinement, sans avoir de pression.

[bt_quote style="default" width="0"]Nous nous battons pour exiger plus de place pour les femmes. [/bt_quote]

On a vu La Stortecata le 3 juin au Printemps des Comédiens : 

Portée par deux acteurs virtuoses, La Stortecata est une petite merveille incontournable! Le texte, juteux d'images aussi poétiques que truculentes, est délectable en tous points et il est empoigné par deux interprètes qui le font vivre avec une puissance admirable - quelle performance scénique!

Soudain, c'est le vieux Naples qui est devant vous avec ces deux vieilles soeurs, aussi laides que complices, aussi excentriques qu'attachantes, et leur dialecte chantant qui vous emporte dans une fantasmagorie fabuleuse! Carmine Maringola incarne Carolina, la cadette un tantinet capricieuse et romanesque, qui entraîne dans ses rêveries quotidiennes Rusinella, l'aînée au grand coeur, jouée par Salvatire d'Onofrio. La puissance des histoires les fait sortir de leur quotidien misérable...car elles sont fatiguées d'être vieilles et les heures s'étendent comme une torture si l'on ne trouve pas de quoi les faire vibrer un peu. Il est question d'un doigt que l'on suce sans cesse pour le polir, de quelques accessoires utilisés chaque jour et d'une maison que l'on chamboule pour jouer à faire semblant...et Emma Dante a imaginé une mise en scène qui met au centre de l'attention le corps des acteurs et les mots de Giambattista Basile. Un théâtre qui puise dans ses racines populaires pour en extraire un petit bijou qui tantôt secoue la salle de rires, tantôt la bascule dans le silence concentré qu'instaure la magie fabuleuse des contes. Emma Dante offre une heure de grâce italianissime par le truchement délicieux du récit d'un amour impossible ; l'on en sort avec la folle envie de revivre encore et encore, en compagnie de Carolina et Rosinella, ce même rêve et de cotôyer ces deux petites vieilles pleines de rhumatismes ; les regarder s'asseoir simplement sur un tabouret modeste, avec leurs bas filés et leurs bonnets fânés, les écouter se disputer de tous les noms d'oiseaux...et continuer à croire en leur compagnie en le pouvoir fédérateur, didactique et salvateur des histoires universelles...

Migliaia di bravi a Emma Dante e ai suoi due brillanti interpreti!

La Scortecata

Librement adapté de lo cunto de li cunti de Giambattista Basile

Texte et Mise en scène : Emma Dante
Avec : Salvatore D’Onofrio, Carmine Maringola
Eléments scéniques et costumes : Emma Dante
Assistante à la production : Daniela Gusmano
Assistant à la mise en scène : Manuel Capraro
Lumières : Christian Zucaro
Surtitrage : Franco Vena
Coordination et diffusion internationale : Aldo Miguel Grompone, Roma
Photos : Festival di Spoleto / ph.MLAntonelli-AGF

Production : Festival di Spoleto 60, Teatro Biondo di Palermo, en collaboration avec Atto Unico / Compagnia Sud Costa Occidentale

Dates et lieux des représentations: 

En 2023:

- 21 - 25 mars 2023 - Célestins, Théâtre de Lyon
- 17 - 28 juin 2023 - La Colline - théâtre national, Paris


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