Pôles : la mémoire en échec
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Pôles expose, à partir d’un événement tragique, les difficultés des relations sociales et familiales, entre violence et compassion.
Ecrite il y a vingt ans, la pièce de Joël Pommerat, Pôles, n’a pas pris de rides. Il faut dire que les thèmes qui y sourdent continuent, de toute éternité pourrait-on dire, d’agiter les sociétés et, au sein de ces dernières, les familles. Elda Older redoute l’opération du cerveau dont elle aurait besoin, mais qu’elle repousse depuis des années. Et pourtant ses troubles de la mémoire s’accentuent. L’appartement qu’elle habite accueille, en la veille de l’anniversaire des cinquante ans de la paix retrouvée, le voisin Jean qui écrit un livre pour célébrer l’événement, son frère, sculpteur atrabilaire, accompagné de son modèle. Ce dernier, Alexandre-Maurice, que les institutions ont transformé en une sorte de bibendum demeuré et mutique se révèle être le meurtrier de sa propre mère, vingt ans auparavant. Dans cet appartement, que chacun semble reconnaître, le passé ressurgit, par bribes, nébuleux, sous les efforts d’Elda attachée à le reconstruire. Désireuse d’aider les autres, elle soutient Jean, en proie aux doutes quant à sa vocation d’écrire, et surtout Alexandre-Maurice qu’elle couve et tente d’extraire de son état d’hébétude. Pugnace, elle ne renonce à rien : ayant échoué à devenir actrice (ses problèmes de mémoire déjà), elle place ses espoirs dans le chant lyrique qu’elle cultive dans sa tête. Son unique prestation, en comité restreint (son frère Walter avec qui la voici réconciliée, Alexandre-Maurice et son frère Saltz, violoniste) signe sa déchéance : les îlots fragiles de sa mémoire n’ont pas résisté à la maladie (à l’émotion ?).
Passé recomposé
La pièce est découpée en scènes alternant présent et retours en arrière. Ces séquences sont comme la projection d’éclairs que la mémoire défaillante d’Elda ramène à la surface. Alexandre-Maurice et elle se sont déjà rencontrés vingt ans auparavant, mais ils ne s’en souviennent pas, bien qu’ayant la sensation de s’être connus. On retrouve, les protagonistes jeunes, mais déjà en proie aux démons qui les feront basculer dans leur drame personnel, dans l’échec qui leur collera à la peau, jusqu’au basculement final. Pièce amère, Pôles, explore les tréfonds de l’âme, mais évoque, non sans humour parfois, l’amitié (Elda et Jean), la passion (Alexandre-Maurice et Jessica jeunes), l’amour fraternel et filial (Saltz et Alexandre-Maurice). Il en ressort une palette de ces sentiments complexes qui fondent les relations des femmes et des hommes, dans des société qui les brident jusqu’à parfois les nier.
La mise en scène de Christophe Hatey (il tient le rôle de Jean en alternance) et Florence Marschal, qui est Elda, s’appuie sur un plateau nu, (exception faite de deux panneaux mobiles), lieu où la mémoire tente de reconstruire un passé qui émerge par bouffées, et sur le jeu de huit comédiens qui excellent dans leur représentation de personnages fracassés, empêchés de s’épanouir dans leurs actes et leurs pensées. Un spectacle sur la difficulté de la vie en société, sur l’échec, mais, toutefois éclairé de beaux moments d’humanité.
Pôles
Auteur : Joël Pommerat
Mise en scène : Christophe Hatay et Florence Marschal
Avec Cédric Camus, Roger Davau, Loïc Fieffé, Tristan Godat ou Christophe Hatey, Karim Kadjar ou Émilien Audibert, Florence Marschal, Aurore Medjeber et Samantha Sanson
Dates et lieux des représentations:
- jusqu’au 25 février 2022 au Studio Hébertot, Paris 17e (01.43.87.23.23.)