Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Sur fond d’énigme, L’affaire de la rue de Lourcine déclenche un ouragan de fantaisie et de folie, dont les protagonistes, moqués, ne sortent pas indemnes. Un Labiche remarquablement servi.  

Un appartement bourgeois, un beau matin. On s’apprête, dans la maison, à aller fêter le baptême du fils du cousin Potard. Jour paisiblement agité en perspective. Le valet, Justin brosse les habits de son maître Lenglumé, toujours au lit. Mais ce sont deux habits, deux gilets et deux paires de bottes crottées qu’il trouve épars. Et Monsieur qui n’est pas sorti hier. Mystère ! A partir de l’instant où Lenglumé émerge de son alcôve, tout bascule. Diable ! De son lit, surgit Mistingue, un ancien élève perdu de vue. C’est avec lui qu’il a passé la nuit, alors qu’il avait prétexté un refroidissement pour filer en douce. Les deux compères, arborant une gueule du meilleur bois, ne se souviennent de rien de leur escapade. Et d’où viennent ces noyaux de cerise et de prune retrouvés dans leurs poches ?  ; et ce morceau de charbon qui macule leurs mains ? La lecture d’un l’article tiré d’un journal paru vingt ans auparavant, relatant de l’horrible assassinat d’une pauvre charbonnière fait souffler un vent de folie dans la maison. Quiproquos, situations absurdes, fausses sorties s’enchaînent sur un rythme endiablé, jusqu’au dénouement de l’énigme. Du grand Labiche ! Car, ici, si on parle crime, horreur, ce n’est que pour en rire. L’affaire de la rue de Lourcine, écrite en 1857, pourrait être le pendant burlesque du Double assassinat de la rue Morgue d’Edgar Allan Poe, un des précurseurs du roman policier, parue en 1841 et traduite en français, en 1856.

Pauvre bourgeoisie

Avec cette Affaire, écrite avec la complicité d’Andrée Monnier et Edouard Martin, Labiche déroule tous les effets du vaudeville musical. Les objets (noyaux de fruit, bonnet de femme, pot à tabac, etc.) ont une fonction qui alimente la situation dramatique, tout en se dévoilant comme totalement dérisoires et inoffensifs, sauf pour les présumés coupables d’un meurtre exhumé d’un journal périmé. Chaque mot prononcé, chaque geste équivoque participe de la montée de tension, jusqu’à ce qu’une forme de folie balaie l’environnement fadasse d’une maison benoîtement bourgeoise. Les habitants deviennent des pantins qu’une main espiègle manipule, déclenchant le rire : celle que tient la plume de l’auteur de La cagnotte, Un chapeau de paille d’Italie, Le Voyage de Monsieur Perrichon, ou Le prix Martin, quatre des nombreux succès de scène parmi les 176 pièces de l’auteur et ses aides  (Labiche n’en a écrit, seul, que quatre, mais cela était de coutume alors). On notera que les noms mêmes des protagonistes fleurent bon le ridicule et se prêtent à la dérision: Lenglumé (on y sent la mollesse), Mistingue (son nez rouge ajoute encore à son manque de distinction), Potard. C’est que Labiche n’est pas tendre avec son milieu. Le bourgeois Lenglumé (mais également Mistingue l’homme du peuple) est pusillanime, vaniteux, bête, assis sur sa fortune. Il est prêt cependant à fomenter les  pires solutions pour préserver sa réputation.

Du rythme et du rire

La compagnie Les Modits, pour sa première création, y a mis toute sa verve et son énergie, toute sa fougue communicative. Les cinq comédiens, sous la conduite de Justine Vultaggio (elle tient le rôle de Norine, Mme Lenglumé), une heure durant, rendent hommage à Labiche, en chansons (dont certains airs modernes et connus de tous), en danses, en folie. Le rythme endiablé, les dialogues ciselés, les mimiques entraînent le spectateur dans ce maelström de scènes cocasses à rebondissements incessants. De la belle ouvrage pour finir l’année 2021 et entamer 2022 dans la bonne humeur.

L’affaire de la rue de Lourcine d’Eugène Labiche
Mise en scène : Justine Vultaggio
Avec  Reynold de Guenyveau, Grégory Dété, Gabriel Houdou, Antoine Léonard, Nadine Liguoro, Maxime Seynave, Oscar Voisin, Justine Vultaggio

Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 23 janvier 2022 au Lucernaire, Paris 6e (01.45.44.57.34)