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Ce que je suis en réalité demeure inconnu : un cadavre exquis enthousiasmant!

  • Écrit par : Virginie Gossart

ce que je suisPar Virginie Gossart - Lagrandeparade.com/ Dans la lignée du Collectif Les Possédés dont elles sont issues, Émilie Lafarge et Marie-Hélène Roig ont choisi, dans cette création née du montage de plusieurs oeuvres littéraires et jouée pour la première fois au théâtre de Nîmes, de mettre en scène une communauté de personnages inspirée de la vie et de l’œuvre de Virginia Woolf. Le titre de la pièce est d'ailleurs celui d'un recueil qui réunit la correspondance de l'immense romancière anglaise.

Lorsque la metteuse en scène et comédienne Emilie Lafarge s'adresse pour la première fois au public de l'Odéon, les lumières ne sont pas encore éteintes, et des spectateurs sont toujours en train de chercher leur place. On ignore si elle est encore Emilie Lafarge ou si elle s'est déjà réincarnée en Virginia Woolf. Les autres comédiens, quant à eux, sont installés depuis longtemps autour d'une table festive. Ils mangent, boivent, rient, tout en échangeant des propos à voix basse. Ils sont déjà un peu – mais peut-être pas encore tout à fait – dans leurs rôles. Car des rôles, ils vont en endosser plusieurs durant cette pièce construite comme un tissage de voix multiples. Ils seront tour à tour des personnages réels ou fictifs, d'époques et de pays différents, réunis dans un espace lui-même changeant, et passant d'un rôle à un autre dans une partition mouvante qui évolue au gré d'une narration onirique et éclatée.
Quand les lumières s'éteignent enfin, c'est bien Virginia Woolf qui nous parle. Et nous présente, comme le coryphée dans un choeur antique, les personnages de ce drame en forme de patchwork : ce sont, pour la plupart, des artistes contemporains de la romancière et membres du groupe du "Bloomsbury", parmi lesquels son mari Léonard Woolf, sa soeur Vanessa Bell, son époux le critique d'art Clive Bell, ainsi que le peintre Duncan Grant. Il y a aussi sur scène une autre artiste peintre, présentée comme l'amie intime de Virginia Woolf et interprétée par Marie-Hélène Roig. Bien plus qu'une amie, ce personnage apparaît comme le double fantasmé de l'écrivaine. On comprend que ces cinq personnages ne sont pas seulement les peintres, écrivains, et critiques que Virginia a fréquentés avant son suicide. A ces personnages s'en superposent d'autres, et les mots de Woolf entrent en écho avec d'autres textes : L'Idiot de Dostoïevsky, Oblomov de Gontcharov, Hamlet de Shakespare. Sans compter les propres oeuvres de Virginia et de Léonard qui viennent ajouter de la complexité à ce prisme aux multiples facettes. Le montage des textes imaginé par les deux metteuses en scène entre en parfaite résonance avec les états d'âme fluctuants des personnages et la psyché morcelée de Virginia Woolf. On sent planer la folie de la romancière comme une menace sourde sur cet univers où se mêlent la légèreté et la mélancolie, le "carpe diem" et le "memento mori". C'est la mélodie nostalgique d'un piano dont on aperçoit les marteaux et qui se mêle aux paroles, comme un langage à part entière ; c'est un insecte réel ou imaginaire qu'on cherche en vain sous un lit ou une table, ou encore le mumure caverneux d'un spectre qui s'élève derrière le piano et nous évoque le père d'Hamlet. Les voix des vivants se mêlent à celles des morts qui les accompagnent, parfois même les hantent. Cela peut donner lieu à des scènes où l'humour noir vient désamorcer la tension ou le tragique. Comme cette incroyable cérémonie où les amis de Virginia lavent son corps, l'habillent d'une belle robe blanche, et occupent tout l'espace de la scène pour prendre avec la morte des selfies délirants avant de la mettre dans une boîte où son mari lui donne à fumer son ultime cigarette.
On accepte sans réserve de se laisser porter par les vagues de ce cadavre exquis, par ce kaléïdoscope théâtral où cohabitent les vivants et les morts, la vérité et la fiction, le réel et le fantasme. Cette esthétique de la discontinuité aurait certainement plu à Virginia Woolf. Mais elle aurait sans doute également conquis Marcel Proust, à qui cette dernière vouait la plus grande admiration.

CE QUE JE SUIS EN RÉALITÉ DEMEURE INCONNU
CRÉATION 2021 • PREMIÈRE À NÎMES
COMPAGNIE : LE FEU AU LAC
MONTAGE DE TEXTES À PARTIR DE FIODOR DOSTOÏEVSKI L’IDIOT, IVAN GONTCHAROV OBLOMOV, VIRGINIA WOOLF LES VAGUES ET LÉONARD WOOLF MA VIE AVEC VIRGINIA
CRÉATION COLLECTIVE DIRIGÉE PAR EMILIE LAFARGE ET MARIE-HÉLÈNE ROIG
AVEC ISHAM CONRATH, THIBAULT DEBLACHE, ÉMILIE LAFARGE, MARIE LOISEL, HÉLORI PHILIPPOT, MARIE-HÉLÈNE ROIG

Dates et lieux des représentations:

- Du 8 au 10 novembre 2021 au Théâtre de Nîmes ( 30)

 


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