Salem : Mortelle rumeur
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Salem, librement adapté d’un fait divers du 17e siècle, explore, dans un concert d’agitation et de violence, les mécanismes conduisant au déchirement d’une communauté.
Cela commence comme un jeu : trois femmes, violant le couvre-feu, et bientôt rejointes par une quatrième qualifiée de « sorcière,» entament un rituel ésotérique hérité de la mère de l’une d’entre elles. A l’incrédulité, voire à l’ironie initiales, succèdent transes, hallucinations, danses, qui exacerbent les tensions entre elles. Bientôt les habitants s’alarment et commence une véritable « chasse aux sorcières ». Fuyant les imprécations et menaces de la foule, cherchant refuge dans divers lieux et en dernier recours à l’école, les quatre réprouvées, pour sauver leur peau, inventent des accusations de sorcellerie (par vengeance, intérêts personnels ?) contre une douzaine de membres de la communauté. Ces derniers seront lynchés par leurs concitoyens en proie à une furie démentielle, se libérant en danses sauvages, attisées par les éléments déchaînés : le feu, la tempête y jouent leur infernale partition. La contrée toute entière sombre dans un chaos inaccessible pour les autres : l’enfer sur la terre. Quand le calme revient, au-delà du drame, se pose une question : tout ceci n’a-t-il été qu’un cauchemar, une hallucination collective ? La dernière scène, cependant, instille le doute.
De victimes à bourreaux
Les événements qui secouèrent la ville de Salem en Nouvelle Angleterre en 1692 ont donné lieu à de multiples interprétations, dont la plus connue reste la pièce d’Arthur Miller, Les sorcières de Salem. La compagnie Le Tambour des Limbes, adepte de l’écriture collective, s’est librement inspirée de l’histoire pour monter Salem. Les quatre « sorcières » seront le point de départ et le centre de l’action. La foule, les accusateurs n’apparaissent jamais, sinon sous forme de borborygmes, de sons et stridulations arrachés à des instruments à vent ou à percussions. Les lumières y définissent les différents lieux. Dans ce pandémonium, l’espace est chamboulé, haut et bas se confondent, les lieux et les dialogues s’emmêlent, s’entrechoquent comme dans les rêves. S’agit-il d’épidémie de sorcellerie ? De déchaînement d’hystérie féminine ? De phénomènes surnaturels ? On assiste, in fine, à un enchaînement d’actions irréversibles chez des êtres proches qui s’entredéchirent. Tout y passe : mensonges, aveux arrachés sous la torture, délation, assassinats.
Une fabrique de boucs émissaires
Miller écrivit la pièce en 1953 pour dénoncer le maccarthysme, le « chasse aux rouges » et plus largement l’intolérance. Salem s’inscrit dans la lignée d’œuvres comme le roman de l’écrivain haïtien, Jacques Roumain La montagne ensorcelée, du film de Ken Russell, Les diables, dans lesquelles le Démon, est l’émanation du Mal absolu que le Bien, que de nombreux groupements prétendent incarner, a devoir de terrasser. Ces œuvres nous mettent en garde contre toute forme de fanatisme politique ou religieux, de racisme, d’ordre moral et leur cortège de persécutions, de mépris et d’égoïsme, à l’heure où rumeurs et fausses nouvelles envahissent la Toile et corrompent les esprits, jusque dans les hautes sphères dirigeantes. Salem rappelle que les femmes se retrouvent souvent en première ligne de ces exactions: le viol, l’inceste, y sont à peine esquissé par les « sorcières », tant il reste une forme de tabou dans nos société, où les victimes sont trop souvent assimilées à des menteuses quand on ne les érige pas en coupables. La littérature, en ce sens fourmille d’allusions au rôle néfaste joué par les femmes, adeptes de magie blanche ou noire, de satanisme, de sorcellerie (ne parle-t-on pas de « chasse aux sorcières » quand bien même elles concernent les deux sexes).
Les quatre comédiennes (Flora Bourne-Chastel, Rose Raulin, Elise d’Hautefeuille et Louise Robert, endossent des rôles, tout de bruit et de fureur, dans un environnement agité de folie et de violence que ponctuent des effets spéciaux et sonores tonitruants, dans la mise en scène de Rémi Prin.
Salem
Création collective de la Cie le Tambour des Limbes
Mise en scène : Rémi Prin
Ecriture collective : Flora Bourne-Chastel, Elise d’Hautefeuille, Naima Maurel, Rémi Prin, Rose Raulin et Louise Robert
Regard extérieur : Naima Maurel
Avec Flora Bourne-Chastel, Elise d’Hautefeuille, Rose Raulin et Louise Robert
Crédit-photo : Avril Dunoyer
Dates et lieux des représentations :
- Jusqu'au 28 septembre 2021 au Théâtre de Belleville, Paris 11e , tél. : 01.48.06.72.34.)