La maison du loup : Jack London, un chien enragé et des vagabonds dans le ciel
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Une vaste demeure dans la tiédeur californienne. C’est ici, avec une vue magnifique sur la vallée, que vivent Jack London, l’illustre écrivain américain au sommet de sa gloire, et sa compagne Charmian.
Là , dans ce havre de paix, planté en pleine nature à l’écart de tout, Jack puise son imaginaire pour écrire son prochain roman. Désespérée de le voir sans inspiration et sombrer dans l’alcool, Charmian invite Ed à la propriété : elle vient de lire son témoignage pour sauver un ami de la peine capitale et espère à travers cette rencontre et ce récit redonner vigueur et fougue à son génie de mari. Mais Ed a aussi une histoire, la sienne : un ancien taulard qui a survécu à l’univers carcéral et à l’isolement, et qui a, par sa force d’esprit, survécu à la torture et en garde encore des séquelles avec son claudiquement.
Deux fauves vont s’affronter, deux bêtes blessées au caractère fort, à la colère intérieure et à l’ambiguïté affirmée. Deux écorchés vifs qui s’observent, se reniflent : Ed le chien enragé et Jack le loup solitaire. Cette rencontre, réelle mais sans qu’on en connaisse le sens ni la finalité, est imaginée par Benoit Solès comme la rencontre à l’origine de l’écriture du roman « les vagabonds du ciel ».
Cette rencontre est comme un combat, entre énergie et désespoir, où l'on s’attend à un affrontement percutant mais qui finalement tourne peu à la confrontation. C’est là le point de déception de la pièce où l'on espérait un grand voyage, un entrelacement des histoires, cette pointe de douceur et de poésie qui avaient rendu si riche et si belle « La Machine de Turing ». L’écriture, même si elle reste belle et intense, ne porte pas la même dramaturgie et ne nous embarque pas dans l’émotion.
Benoit Solès voulait une unicité de lieu, de temps et d’action : c’est peut-être cela qui déstabilise. On ne retrouve pas la vie et le supplément d’âme de sa précédente création. Même dans le jeu on ne ressent pas l’incarnation et la profondeur qu’il mettait à défendre la cause et l’histoire de Turing. Pourtant le niveau de jeu reste excellent avec un accent cette fois-ci mis davantage sur Amaury de Crayencour en ivrogne désabusé et un Benoit Solès rigide et humaniste à la fois. Les échanges sont vifs, puissants, bruts mais on regrette le ton narratif de certains monologues au rythme poussif.
« La maison du loup » reste un spectacle cinématographique avec une mise en scène soignée, une précision des gestes, des ruptures et une intensité de jeu oscillant entre rage, colère et sagesse.
Le décor est sublime : une maison d’époque très réaliste avec son perron et ses rocking-chair , une ancienne coque de bateau dans le jardin comme vestige du destin aventurier de Jack. Le tout superbement mis en valeur par des jeux de lumière tamisés apportant de la profondeur et renforçant la tension des échanges.
A défaut de nous avoir totalement embarqué avec lui, Benoit Solès et Tristan Petitgirard nous invitent quand même à une plongée dans une époque magnifiée par l’utilisation bien dosée de la vidéo où chacun défend son territoire et sa pensée. Quand le chien devient loup et le loup s’adoucit en chien.
La maison du loup
Auteur : Benoit Solès
Metteur en scène : Tristan Petitgirard
Distribution : Benoit Solès, Amaury de Crayencour et Anne Plantey
Scénographie : Juliette Azzopardi
Illustrations : Riff Reb’s
Animation : Mathias Delfau
Musique : Romain Trouillet
Costumes : Virginie H.
Création lumières : Denis Schlepp
Assistante mise en scène : Léa Pheulpin
Dates et lieux des représentations :
- Du 7 au 31 juillet 2021 au Théâtre du Chêne Noir - Festival Avignon Off