Ecoute donc voir : une lumière d’espoir dans les ténèbres
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Ecoute donc voir, ou comment s’ouvrir au monde malgré le handicap. Couché dans un lit d’hôpital Tirat (P’tit rat), qui vient de subir, comme chaque été, une opération aux yeux, reçoit la visite du bon géant Raph. Celui-ci lui apporte en cadeau une cornemuse. Tirat, comme son ami, ne recouvrera pas la vue. Alors Raph lui conte sa vie de ténèbres qu’a éclairée la musique ; dès lors, les événements que lui a vécus seront ceux que Tirat connaîtra : les difficultés dans la famille où les taloches valent pour leçon, l’école où un petit handicapé se trouve mis à l’écart et moqué, l’apprentissage des inégalités de classe et les révoltes. Puis vient, avec l’éveil aux merveilles de la nature, à la beauté des jeunes filles en fleur et au théâtre, l’appel de la musique, l’apprentissage en solo de l’instrument, un instrument du diable pour les culs-bénis de la paroisse : ne continue-t-il pas de produire des notes alors que le musicien a cessé de souffler ? Puis le gosse devient adolescent et homme. Sa technique s’affine, jusqu’à en faire le quasi égal du maître qui lui a tout appris de la cornemuse. Il égaie les soirées de bals, les longues beuveries dans les tavernes. On le met au défi de jouer autre chose qu’une bourrée : il méduse son auditoire avec un morceau classique, un riff de rock n’roll, un solo de free jazz que ne renierait pas Cecil Taylor. Enfin, alors que le noir s’installe définitivement sur sa rétine, il reçoit la visite du maître, hommage suprême. Il est entré dans la société, en entier, libre. Il est un Monsieur.
Un hymne au bonheur
Ecoute donc voir est un véritable hymne au courage, à la tolérance, à la volonté, à l’amitié. Pas d’apitoiement sur le handicap : un aveugle est un citoyen comme les autres. Et si en plus il se double d’un artiste… La cécité, qui accroît l’acuité auditive, est un atout majeur pour qui aborde la carrière musicale. La musique est un langage commun qui rapproche les êtres, un trait d’union de tolérance et de bonheur. C’est le message que délivre l’adulte à l’enfant cloué pour huit jours sur un lit, sans pouvoir même bouger la tête. Et aux spectateurs. Le texte de Patrick Grégoire, qui met en scène, est traversé de fulgurances poétiques ; il est subtilement servi par Raphaël Thiéry, au physique imposant. Le comédien, seul en scène, apporte une formidable dose d’humanité au personnage. Ce corps de colosse se fait aérien lorsqu’il se lance dans une bourrée. Outre la cornemuse, il tire musique de bambous et même de la perfusion qui domine le berceau de Tirat, unique élément de décor, à côté de la chaise où se laisse tomber Raph entre deux pas de danse. Le jeu, précis, sobre, en nuances, de Raphaël Thiéry, porte haut un texte tout de sensibilité et d’émotion. Une bien belle réussite.
Ecoute donc voir
Texte et mise en scène : Patrick Grégoire
Avec Raphaël Thiéry
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 5 avril 2020 au Studio Hébertot, Paris 17e (01.42.93.13.04.)