Un tramway nommé désir : une pièce prenante portée par des acteurs convaincants
- Écrit par : Xavier Paquet
Par Xavier Paquet - Lagrandeparade.com/ Accueil jazzy au coin du réverbère, deux comédiens jouent saxo et guitare, nous plongeant dans l’ambiance des années 1950.
Vue sur l’intérieur d’un appartement typique de la Nouvelle Orléans de l’époque. Une femme élégante et distinguée débarque valises à la main : Blanche, soeur de Stella, jeune femme vivant ici avec son mari Stanley. Une escapade de quelques jours qui va durer et bouleverser l’existence de chacun. Un tramway nommé désir c’est une légende de théâtre et de cinéma à laquelle il est dur de s’attaquer. Le pari est réussi avec une scénographie intelligente et un jeu d’acteurs nous transportant avec puissance et finesse dans l’évolution dramatique de cette histoire familiale.
Stella et Stanley vivent dans un petit appartement populaire : elle est femme au foyer s’occupant de son intérieur, il est ouvrier. Ses camarades sont ses voisins et amis avec qui il passe son temps autour de l’alcool et du poker : Mitch vit seul avec sa mère malade, Steve est en conflit fréquent avec sa femme. Une vie tranquille bercée d’amour, de musique et de boisson jusqu’à l’arrivée de Blanche qui bouleverse cet équilibre. Issue d’une famille bourgeoise, elle reproche à sa sœur son mariage dégradant pour leur statut social et avoue avoir perdu la demeure familiale de Belle Rêve. Intrigué de voir l’héritage de sa femme ainsi dilapidé, Stanley enquête pour confronter sa belle sœur à sa propre réalité. Cherchant à retrouver en Mitch le sensible l’illusion d’un amour perdu par la mort de son ex mari, Blanche sombre progressivement dans la folie. Une santé mentale qui révèle la contradiction entre la pureté et l’élégance qu’elle cherche à montrer et son déchirement intérieur.
Un tramway nommé désir met l’amour comme point d’ancrage par lequel chacun cherche à se sauver : Stanley pour garder la face dans le quartier, Stella pour conserver l’unité familiale, Mitch pour rencontrer quelqu’un qui plaira à sa mère et Blanche comme dernier espoir dans ses turpitudes. On existe pour l’autre et à travers l’autre. Le désir est là , vivant, parfois animal, toujours à fleur de peau : le point de bascule n’est jamais loin. La violence non plus, qu’elle soit physique ou morale : nourri par sa rancœur, Stanley s’emporte dans des accès de colère et tente de détruire émotionnellement sa belle-sœur.
La pièce est portée par une troupe de comédiens talentueux apportant à chaque personnage une touche forte et fragile à la fois : Stella en femme tantôt soumise tantôt rebelle, Mitch en amoureux transi, Stanley en homme bestial mais sentimental. Une mention spéciale pour l’interprétation de Blanche dont le crescendo vers la folie et les nuances de jeu entre sensualité et déchéance la rendent captivante et envoutante. L’ambiance étouffante est portée par une mise en scène retranscrivant la torpeur de la Nouvelle Orléans populaire : des jeux de lumière chauds et basculant progressivement vers plus d’ombre, la musique jouée en live et quelques partitions chantées qui apportent joie avant le drame, les costumes d’époque perlées de sueur et d’humidité retranscrivant la moiteur de ce drame passionnel, les projections visuelles d’époque. Le plateau est ouvert sur cet appartement modeste : un lit central, quelques placards, une salle de bain, l’ensemble baigné par un ventilateur, un escalier extérieur comme point d’entrée et de sortie. Cette version d’un tramway nommé désir aborde la violence physique et mentale des rapports humains et sentimentaux par le prisme du désir cachant surtout la recherche de soi. Le désir d’être soi-même et le désir que l’on a pour l’autre qui se mélangent dans la descente aux enfers des personnages. Apportant un éclairage très actuel sur la misère sociale, la pièce nous questionne sur nos propres désirs et frustrations dans notre quête d’identité et d’amour.
Un tramway nommé désir
Auteur : Tennessee Williams
Avec Julie Delaurenti, Manuel Olinger, Tiffany Hofstetter ou Murielle Huet Des Aunay, Philipp Weissert ou Gilles Vincent Kapps, Jean-Pierre Olinge
Mise en scène : Manuel Olinger
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 12 avril 2020 à La Scène Parisienne - Salle Michel Aumont (34 rue Richer, 75009 Paris)