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Des souris et des hommes : une tragique amitié

  • Écrit par : Christian Kazandjian

des souris Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ Des souris et des hommes plonge dans la noirceur et la beauté de l’âme humaine soumise à une sourde solitude.

Le roman de John Steinbeck, Des souris et des hommes, a connu de nombreuses adaptations à la scène et à l’écran. La Compagnie du géant noir nous en offre une, pour le moins originale et fort réussie. L’action se déroule à Soledad (Solitude) dans les années de grande dépression faisant suite à la crise de 1929. George et Lennie, deux amis d’enfance, comme des milliers de « hobos Â» vont de ranch en ranch louer leur bras. Ils rêvent de pouvoir s’acheter une ferme pour vivre comme des rentiers, en élevant également des lapins dont rêve Lennie, esprit simple dans un corps d’hercule. Ils sont embauchés dans un ranch. Le colosse se heurte à l’agressivité de Curley, le fils du patron, violent et autoritaire ; sa femme aime, par jeu, aguicher les ouvriers. Les deux amis gagnent la sympathie de certains journaliers, dont Candy le manchot, parvenant même à lier conversation avec Crooks, ouvrier noir, victime du racisme de son entourage. Lors d’une rixe, Lennie écrase la main de Curley. Et c’est cette main qui caresse la femme de Curley, aux cheveux soyeux comme la fourrure des lapins, et l’étrangle dans une crise de panique. Lennie rejoint le fourré où George lui a conseillé de se terrer en cas de danger. Là, George tue son ami d’un tir de Luger afin de lui éviter le lynchage ou l’asile psychiatrique. Lennie meurt, sourire aux lèvres à l’évocation de leur ferme, son champ de luzerne et ses lapins, qu’ils n’acquerront jamais.

L’amitié au risque de la mort

La pièce tient du drame classique : unité de lieu, de temps (trois journées) et d’action. Au-delà de la violence (du fils du patron, de l’environnement social), et en réaction, il y est question d’amitié -le geste final de George-, de solidarité entre humbles travailleurs durement exploités. Il y est, en premier lieu, traité de solitude : Lennie, enfermé dans sa condition d’attardé, George qui le porte depuis des années ; Crooks, victime de racisme ; enfin la femme de Cruley, cernée par les regards concupiscents des hommes, symbole sexuel soumise aux lois patriarcales. La mise en scène de Jean-Christophe Pagès installe ce sentiment de grande solitude : choix d’un seul comédien pour tenir tous les rôles masculins, tenue écarlate (couleur de diablesse tentatrice) de la femme, accentuant sa singularité dans le décor noir et nu. Les mains, qui travaillent, caressent, frappent ou tuent, occupent également une place importante : main-étau et marteau de Lennie, main gantée de noir de Curley, prête à frapper, main perdue de Candy qui le condamne aux tâches subalternes.

Des moments de grâce

La voix off du narrateur plante le décor, titillant l’imagination du spectateur. La musique en direct de Rizdo multi-instrumentiste, ponctue les moments de grâce : la danse de la femme, la mention des moments agréables du passé des deux amis, l’évocation de la ferme dont ils rêvent. La bande dessinée, projetée sur écran, est convoquée pour illustrer la rixe entre Lennie et Curley, apportant une distance bienvenue dans une scène de tension violente. La femme, rôle muet tenu par une danseuse (Carole Bordes ou Laure Desplan) est réduite au silence par la société des mâles ; elle exprime, par le corps, une forme de revendication à exister, quitte à céder à une dangereuse et fatale lascivité. Nous nous trouvons en présence d’un objet théâtral total mêlant, jeu, danse, musique, projections. Une franche réussite. Il convient enfin de souligner le travail de Thierry Bilisko, passant, de façon convaincante, avec justesse, sans excès, d’un personnage à l’autre.

Des souris et des hommes 
Texte : John Steinbeck
Mise en scène :Jean-Christophe Pagès
Avec Thierry Bilisko, Carole Bordes, Laure Desplan, RiZbO

Dates et lieux des représentations: 
- Jusqu’au 15 mars 2020 au Lucernaire, Paris 6e (01.45.44.57.34.)

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