Omar Porras : "un théâtre qui parle de choses extrêmement profondes et graves sans perdre de vue le sourire"
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Omar Porras, comédien, metteur en scène et pédagogue suisse d’origine colombienne, se forme à la danse et au théâtre en Europe. En 1990, il fonde le Teatro Malandro à Genève. Très vite, cette dernière s’affirme et se démarque par sa poésie éclaboussante de couleurs et d’inventivité, son énergie communicative et jubilatoire et sa capacité à fusionner les traditions occidentales et orientales.
Axée sur le corps du comédien et l’utilisation des masques, la précision de son geste est chorégraphique, le choix de ses oeuvres toujours traité avec pertinence, singularité…et génie. Puisant autant pour le théâtre dans le registre classique ( Faust de Marlowe, Othello de Shakespeare, Les Bakkantes d’après Euripide, Ay ! QuiXote d’après Cervantès, El Don Juan de Tirso de Molina, Pedro et le commandeur de Lope de Vega, Les Fourberies de Scapin de Molière, Roméo & Juliette d’après Shakespeare) qu’auprès des auteurs contemporains ( La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt, Ubu Roi de Jarry, Striptease de Slawomir Mrozek, Noces de sang de Federico Garcia Lorca, Maître Puntila et son valet Matti de Bertolt Brecht..), Omar Porras explore aussi l’univers de l’opéra depuis 2006. Honoré de nombreuses distinctions, en 2014, l’artiste a reçu le Grand Prix suisse de théâtre / Anneau Hans Reinhart pour l’ensemble de sa carrière et sa Visite de la vieille dame a obtenu le Prix romand des spectacles indépendants en 1994. Pedro et le commandeur a été , par ailleurs, doublement nommé aux Molières dans les catégories Meilleur spectacle public et Meilleure adaptation, en 2007, tandis que la Colombie lui attribuait l’Ordre National du Mérite, et, un an plus tard, la Médaille du Mérite Culturel. Pourquoi insister tant sur sa biographie? Histoire que si vous n’aviez pas encore croisé le chemin d’une de ses créations, vous ne persistiez pas et répariez vite cette erreur en fonçant découvrir "La Visite de la vieille dame" et/ou "l'Histoire du soldat", pièces du répertoire de la compagnie, qu’il a recréées pour fêter, en 2015, les vingt-cinq ans du Teatro Malandro. Omar Porras et le Teatro Malandro sont des magiciens de l’imaginaire, des histrions - que l’on confondrait aisément avec des lutins espiègles sur un plateau- qui nous embarquent systématiquement dans un voyage, empreint de fantaisie, d’espièglerie et de pétillance, qui nous nourrit en chemin de vérités et de sagesses universelles et salvatrices. Nous sommes très honorés de le recevoir à la Grande Parade et l'en remercions.
Vous souvenez-vous comment, en 2003, l’Histoire du Soldat était arrivée entre vos mains?
C’est une longue histoire. J’ai depuis l’âge de 18 ans une grande passion pour la musique d’Igor Stravinsky. A cet-âge-là , j’avais découvert Le sacre du Printemps qui est devenu pour moi comme un hymne, un modèle. Cette oeuvre parle à la fois des mythologies, des traditions, évoque un passé lointain et à la fois elle est très moderne. En arrivant en Europe, j’ai découvert Charles-Ferdinand Ramuz et cette alliance fantastique, cette rencontre entre ces deux grands hommes et ces deux cultures : la culture vaudoise et la culture russe. Quand j’ai découvert cette oeuvre extrêmement complexe à l’écoute, j’ai été fasciné parce qu’elle s’avère en quelque sorte un condensé de l’histoire de la musique, du théâtre et de la danse. C’est une oeuvre à explorer, un univers en soi.
Outre votre admiration pour la musique, la question du pacte avec le diable et le surnaturel sont-ils des thèmes que vous aimez particulièrement mettre en scène?
Oui, ce mythe du diable, du surnaturel, de l’au-delà , du Bien et du Mal, est passionnant. Dans le thème de Faust - l’homme qui vend son âme au diable -, il y a forcément quelque chose qui nous plonge immédiatement dans le surnaturel. Ce qui est également fascinant dans l’Histoire du Soldat, c’est la question de la métamorphose. La métamorphose permet ainsi de mettre sur le plateau différentes formes de théâtre : on peut être à la fois dans la tradition ancienne du wayang kulit , des ombres chinoises, dans la danse indienne par rapport à la précision du mouvement, dans le feu d’artifice, dans la pastorale… J’ai monté également Les Bakkantes qui soulevait également la question du surnaturel et ce rapport avec le Bien et le Mal ; Dionysos est un dieu qui nous oblige à nous dépasser et qui invite aussi à la transgression. De même, d’ailleurs, pour Don Juan ( que j’ai monté aussi ) qui est un être séduit par la transgression de la morale, des principes, qui est au delà des lois.
Pourquoi l'envie de recréer cette Histoire du soldat et La visite de la vieille dame en 2015?
Il y a plusieurs raisons. Cette année, nous fêtons d’abord les 25 ans de la compagnie Teatro Malandro fondée à Genève et je voulais reprendre deux textes du répertoire de la compagnie, deux oeuvres d’auteurs suisses, qui sont symboliques par rapport à la Suisse et à mon propre travail. Une autre raison qui a permis la reprise de L’Histoire du Soldat , c’est la rencontre formidable avec Fabrice Melquiot, directeur de l’Amstramgram, le théâtre où j’ai créé la pièce en 2003 ; Fabrice est sensible au travail des « troupes de répertoire » et il pensait que c’était urgent et important de défendre aussi ce type de théâtre et les compagnies qui fonctionnent avec un répertoire. Nous avons en effet un répertoire et de temps en temps nous reprenons des pièces. Une dernière raison? C’est qu’il est fabuleux de montrer une même pièce à plusieurs générations ; L’Histoire du Soldat est un spectacle de famille où il y a les jeunes et les moins jeunes. Tout le monde y trouve son bonheur.
Quelles modifications avez-vous essentiellement apportées à cette nouvelle version ( scénographie? distribution? mise en scène?) ?
Tout en faisant confiance au texte, à la partition musicale et au contenu de l’oeuvre, il est nécessaire d’amener une touche personnelle. On apporte sa vision, on amène, malgré nous et malgré le désir de poursuivre dans le respect du texte, quelque chose de nouveau qui s’impose et qui devient une nécessité pour que l’oeuvre soit entendue à notre époque. Dans le Soldat, je n’ai touché ni au texte, ni à la partition mais je les ai réimbriqués: il y a des passages parlés que j’ai associés à la musique et j’ai fait en sorte que la musique devienne dicible, qu’elle soit palpable par les sens, le regard et l’image, par l’organisation qu’il y a entre le texte, la musique, la danse, la pyrotechnique, la manipulation d’objets et tous les jeux de rideaux…Tout cela est une écriture supplémentaire qui vient alimenter l’oeuvre.
Quand on reprend une mise en scène, l'expérience de dix années supplémentaires que l'on a acquise modifie-t-elle le regard sur la première version? rend plus critique?
Oui, on mûrit, on change et effectivement l’oeuvre, elle, a changé, a évolué tout en gardant la même structure ; je dirais que l’on a trouvé la mélancolie qu’il y a dans ce texte. Il y a des douleurs, des tristesses inhérentes, des hommes qui parlent de l’exil au moment de la guerre. Il ne faut pas oublier ou mettre de côté qu’il s’agit d’un soldat qui vient de la guerre et a vécu la tristesse du deuil à répétition. On a accentué ce côté-là : l’impuissance de ce pauvre soldat, l’impuissance d’un homme fatigué qui revient de la guerre. On n’avait pas trop parlé de ça à la création; je pense qu’on était davantage dans une vision de jeunesse et cette jeunesse s’est nourrie aujourd’hui d’une certaine maturité.
Quels "artifices" avez-vous mis en place pour restituer l'univers merveilleux du conte? Les masques, par exemple, qui sont des accessoires que vous utilisez souvent dans vos spectacles?
Oui, il y a les masques mais je dirais que j’ai imaginé cela comme un kaleidoscope de couleurs, de lumières, d’explosions ( il y a beaucoup de feux d’artifice). C’est aussi un hommage à ce théâtre que l’on fait rarement aujourd’hui, celui où il y a des trappes, des cintres, des rideaux qui se croisent, des ombres chinoises, bref tout ce qui est l’artisanat du théâtre. Je suis un passionné de ça : un théâtre d’autrefois avec des éléments et des gens d’aujourd’hui pour les gens d’aujourd’hui.
La musique est un métissage de valse, de tango, de ragtime, d'opéra...ces différents univers musicaux sont-ils accompagnés de différents "univers scéniques"?
C’est la musique qui amène toute cette magie. On ne fait que suivre la musique qui amène toutes ses couleurs. C’est comme la lampe d’Aladdin, la musique fait sortir le génie de l’imaginaire des comédiens et des techniciens qui participent à la création, c’est comme un jaillissement, comme si les notes devenaient des objets, des arbres, des créatures d’un songe coloré.
A quel moment de votre travail de metteur en scène êtes-vous satisfait d'une création?
Je pense que la satisfaction vient du regard des spectateurs; c’est le plaisir qu’on ressent dans le renvoi des spectateurs, la tension, la fascination que le public peut avoir. L’entendre dans son silence, l’entendre imaginer, l’entendre voyager et être créateur aussi, l’entendre à la fois enfant, rêveur et magicien. Je suppose que c’est là où se trouve ma satisfaction et tant que je ne sens pas que j’atteins cet état chez les spectateurs, c’est l’ennui et c’est ce que j’évite…
Parlons maintenant de La visite de la vieille dame. Vous l'avez créé trois fois. Pourriez-vous nous dire en quelques mots pourquoi cette pièce de Friedrich Dürrenmatt vous séduit tant?
Cette pièce dévoile la cupidité permanente et sempiternelle dans laquelle vit l’être humain et Friedrich Dürrenmatt fait cela avec un humour caustique, une férocité souriante, une rage presque dansante; il est cruel et à la fois il est drôle; il est vrai et à la fois il montre l’esprit mondain de l’être humain. Cette oeuvre est comme une sorte de manifeste de ce théâtre que j’ai envie de faire, ce théâtre qui nous parle de choses extrêmement profondes et graves sans perdre de vue le sourire, l’ironie… et qui ne nous fait pas oublier que l’on est au théâtre. On est loin du divertissement mais on a le plaisir du jeu et le spectateur a la joie de voir toutes ces figures, ces masques qui ne sont pas dans une distance, qui n’incarnent pas des créatures qui sont éloignées de nous, mais, bien au contraire, qui dévoilent notre propre cruauté, notre propre bêtise. Friedrich Dürrenmatt est un révélateur féroce de la société…mais avec humour.
C'est vous qui incarnez la vieille dame exubérante, emperruquée et en dentelles. Est-ce toujours vous qui l'avez jouée? Quelle vision avez-vous de ce personnage? S’est-elle modifiée avec le temps?
J’ai voulu dans cette version parler davantage de l’amour. On voit toujours Claire Zahanassian comme un être vindicatif, impitoyable et qui ne pardonne pas. J’essaie en 2015 de faire ressurgir les sentiments d’amour qu’elle a ; n’oublions pas qu’elle vient aussi pour des raisons sentimentales et j’ai voulu dans cette version raconter davantage l’histoire d’amour, qui n’est pas écrite mais est entre les lignes, là -bas tout au fond de la mémoire de ce qui s’est passé entre le couple d’Alfred Ill et Claire Zahanassian. Et je ressens et j’entends aussi que les spectateurs ressentent cette sensation qu’on a voulu développer, celle d’une histoire d’amour qui tourne mal.
Diriez-vous qu’avec la maturité, vos personnages gagnent en complexité?
Forcément, je crois que c’est l’avantage de l’âge, de l’expérience, de l’entraînement, de la rencontre avec le public…ça rajoute des couches et ça enlève, je dirais, de la banalité.
Avez-vous d'autres projets en préparation? De nouveaux auteurs à explorer?
Je suis maintenant à la tête d’une institution, le TKM,( Théatre Kléber-Méleau à Renens-Malley en Suisse) depuis quelques mois; ma mission dans ce théâtre, c’est de faire des créations et de donner la place à d’autres artistes. C’est une chance que j’ai. Et en même temps je prépare le terrain pour ma prochaine création: on travaille avec mon équipe sur des auteurs du XVIIème siècle mais on n’a pas arrêté encore le nom de la pièce ni de l’auteur pour l’instant.
Crédits-photos:
La visite de la vieille dame ©Marc Vanappelghem
Portrait Omar Porras ©BAK Geoffrey Cottenceau & Romain Rousset
Histoire du soldat @Elisabeth Carecchio
Le site du Teatro Malandro : http://www.malandro.ch/
Le site du TKM : http://www.t-km.ch/
Histoire du soldat
Texte : Charles-Ferdinand Ramuz
 / Musique : Igor Stravinsky / 
Direction : Benoît Willmann / 
Mise en scène : Omar Porras
Son violon sur le dos, le soldat Joseph rentre chez lui, quand surgit, sur sa route, un homme qui lui offre un livre magique. Il le troque contre son instrument. Son voyage bascule alors vers une quête effrenée d’un toujours-plus illusoire. L’homme qu’il a croisé n'était autre que le Diable...
Dates des représentations:
30 - 31.10.15 Suisse - Fribourg, Théâtre Equilibre

04-05.11.15 Suisse - Yverdon, Théâtre Benno Besson

07-08.11.15 Suisse - Vevey, Le Reflet

12-13.11.15 France - Belfort, Le Granit - Scéne nationale

17-27.11.15 France - Malakoff, Théâtre 71

02-03.12.15 France - Caen, Théâtre de Caen

16-22.12.15 France - Lille, Théâtre du Nord
La Visite de la vieille dame
Texte : Friedrich Dürrenmatt
 / Mise en scène : Omar Porras
Dans la petite ville de Güllen jadis prospère, tout n’est que misère et dénuement. Aucun train ne s’arrête plus dans sa gare délabrée et c’est d’allocations que vivent ses habitants. Aujourd’hui pourtant, ils sont en émoi : la milliardaire Claire Zahanassian doit arriver d’un instant à l’autre et ils comptent bien lui soutirer quelques millions pour relancer les affaires.
Dates des représentations:
22.09-11.10.15 Suisse -Renens, TKM Théâtre Kléber-Méleau

06-08.01.16 France - Annecy, Bonlieu Scène nationale d'Annecy

12-13.02.16 France - Amiens, Maison de la Culture d'Amiens

19-29.01.16 France - Malakoff, Théâtre 71

05.03.2016 Suisse - Bellinzona, Teatro Sociale

10-12.03.16 France - Châteauvallon, CNCDC

24-28.03.16 Colombie - Bogota, Festival Iberamericano

08-09.04.16 France - Corbeil-Essones, Théâtre de Corbeil-Essones

21-22.04.16 Suisse - La Chaux-de-Fonds, TPR

27-28.04.16 France - Forbach, Le Carreau

03-04.05.16 France - Chambéry, Espace Malraux
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