La duchesse d’Amalfi : Guillaume Séverac-Schmitz ensanglante la scène avec brio
- Écrit par : Julie Cadilhac
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Guillaume Séverac-Schmitz restitue avec pertinence dans cette Duchesse d'Amalfi les excès du théâtre élisabéthain ; les passions du coeur et du pouvoir se déchaînent sur le plateau avec fulgurance.
Saluons d’abord la distribution impeccable : Jean Alibert est tonitruant de talent en Daniel de Bosola. Fieffé traître qui connaîtra le remords des méchants, sa présence machiavélique tient la pièce à lui tout seul. François de Brauer séduit en Antonio Bologna, intendant puis mari attentionné de la duchesse. Son jeu, tout en retenue, délicatesse et pudeur (de même que celui de Baptiste Dezerces qui joue son ami Délio), s’avère un contrepoint pertinent à la déraison et l’inhumanité qui portent le Cardinal ( joué talentueusement par Nicolas Pirson) et Ferdinand, duc de Calabre, dont Thibault Perrenoud ( qui interprétait Richard II dans la précédente création de la cie) endosse avec brio tout le paroxysme délirant de violence et de dangerosité. Enfin, Eléonore Jonquez interprète le rôle-titre de la duchesse d’Amalfi avec justesse et Lola Felouzis offre une touche de douceur salvatrice grâce à un jeu discret et délicat.
La scénographie mouvante d’Emmanuel Clolus, les lumières saturées de Kélig le Bars et la musique tout aussi moderne que prenante de Benoît Lugué imposent une tension dramatique prégnante et qui se marient avec intelligence aux choix esthétiques de la mise en scène.
Dans cette pièce sanglante, Guillaume Séverac-Schmitz réussit en outre à insérer des minutes plus « légères », intermèdes cyniques - mais rieurs - où Jean Alibert descend par exemple dans le public …des minutes de tendresse dans l’alcôve complice de la chambre des jeunes mariés ou encore des instants en suspension poétiques lors du premier accouchement de la duchesse ou au moyen de cette balançoire qui semble être une parenthèse déjà prête à se décrocher où l’on peut encore jouir d’un peu de paix et de bonheur.
Dans ce théâtre de l’enfer, où la férocité et la torture psychologique et physique s’en donnent à coeur joie, le vacarme de la folie va croissant, ne laissant personne indemne. On se brûle avec la neige et l’on se gèle auprès du feu, métaphore éclairante de la menace permanente qui règne dans ce huit-clos sinistre. Des amants maudits, un triste pitre exécutant, un frère lycanthrope aux doigts araignée, ange déchu immaîtrisable, un autre frère tout aussi dérangeant par la luxure qu’il embrasse, impropre à sa fonction. Un cocktail dramatique rouge hémoglobine qui s’achève sous les applaudissements enthousiastes d’un public conquis par ce travail abouti autour du théâtre élisabéthain et son hybris grandiloquente !
La duchesse d’Amalfi
Texte : John Webster
Traduction, adaptation et dramaturgie : Clément Camar-Mercier
Conception et mise en scène : Guillaume Séverac-Schmitz
Avec Jean Alibert, François de Brauer, Baptiste Dezerces, Lola Felouzis, Eléonore Jonquez, Thibault Perrenoud , Nicolas Pirson
Scénographie : Emmanuel Clolus
Création lumières : Kélig le Bars
Création musique : Benoît Lugué
Création costumes : Emmanuelle Thomas
Création masque : Louis Arène
Régie générale : Yann France
Durée : 2h10
Production : collectif Eudaimonia en coproduction avec le Cratère-scène nationale d’Alès, les Théâtres Aix-Marseille Gymnase-Bernardines, la MAC-Maison des Arts de Créteil, le Théâtre Montansier de Versailles, le Théâtre de Nîmes-scène conventionnée d’intérêt national-art et création-danse contemporaine, la Passerelle-scène nationale de Saint-Brieuc
Scénographie construite dans les ateliers du Grand T, Nantes
Photographies : Christophe Raynaud de Lage
Dates et lieux des représentations :
- 17 et 18 avril 2019 - Théâtre de Nîmes
« Après la création de Richard II de Shakespeare, j’avais envie de poursuivre mes recherches et mon apprentissage en travaillant sur une autre pièce majeure du théâtre élisabéthain : La duchesse d’Amalfi de John Webster écrite en 1612. Ce chef d’oeuvre du théâtre baroque m’offre l’occasion de prolonger un geste artistique commencé avec Mouawad et Shakespeare où la thématique de la chute était au coeur des récits. Cette pièce, que j’avais découverte lorsque j’étais étudiant au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris, ne déroge pas à cette règle. Monter La Duchesse d’Amalfi doit participer à la découverte et au partage du théâtre élisabéthain, qui existe bien au-delà de Shakespeare et pour lequel ma passion ne tarit jamais. En effet, ce courant littéraire et ses oeuvres emblématiques m’ont toujours accompagné et guidé, que ce soit depuis l’imaginaire de mon enfance jusqu’à mes aspirations d’acteur, de musicien ou de concepteur. C’est un théâtre total, qui se pense et se construit de façon artisanale, où tout est en mouvement, où la langue et les sons y ont leur propre musicalité, où l’émotion des acteurs doit être engagée et où l’imaginaire poétique doit envahir tout le plateau. » ( Guillaume Séverac-Schmitz)