An irish story, une histoire irlandaise : un bon bol d’Eire
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.com/ An irish story nous entraîne des années 1930 aux années 2000 au cœur d’une famille franco-irlandaise avec ses secrets et non-dits. Une enquête où percent humour débridé et intense émotion.
Peter O’Farrell a quitté l’Irlande à l’âge de 19 ans. Il a vécu à Londres, s’est marié, eu des enfants, puis a disparu. On l’a oublié dans sa famille. Sa petite-fille, Kelly, décide un jour de partir à sa recherche. C’est cette histoire, An irish story, que nous conte Kelly Rivière, alias Kelly Ruisseau, seule en scène. Elle y endosse la peau, la voix de deux douzaines de protagonistes : le frère, fumeur de pétards, la mère, lectrice de biographies de dictateurs, les tantes et les paysans irlandais. L’anglais, le français se bousculent en bouche, les accents s’entrelacent, la comédienne nous entraîne de Lyon dans l’Hérault, de Londres à un trou perdu au sud de l’Irlande. C’est que la quête de l’aïeul effacé des mémoires est ardue. Pour crever la bulle de silence érigée par sa mère et sa grand-mère, Kelly use de stratagèmes. Elle réussit à entraîner mère et frère, dans un périple bourré de contretemps et surprises, de danses et de Guinness, jusqu’à lever un coin de voile ayant occulté la vie de Peter O’Farrell, migrant stigmatisé, méprisé, en Angleterre, que la très catholique Eire préfère vouer à l’abîme du temps.
Kelly Rivière dénote une incroyable ductilité corporelle et vocale ; sa voix passe d’alto à baryton, de l’anglais au français, de la dérision à l’émotion avec aisance ; mimiques et gestes frappent juste, sans jamais sur-jouer. Une belle performance de comédienne au service d’un texte – qu’elle a écrit- où humour à gros traits et sensibilité forment couple. Ainsi entre les saillies percent des références politiques et sociales à des événements tragiques subis par les Irlandais : Bloody Sunday, à des noms de martyres : Bobby Sands.
Avec An irish story, une histoire irlandaise, l’auteure-comédienne interroge, s’interroge sur l’identité. Constitutive de la culture, au même titre que la musique ou la cuisine, la langue est un marqueur autant ethnique que social. Chaque individu, chaque groupe y apporte sa contribution. Ne dit-on pas que les petits ruisseaux font les grandes rivières ? Il en va ainsi de Kelly passant, sur scène, de Rivière à Ruisseau pour participer à construction de l’identité de l’ancêtre 0’Farrell dont elle restitue, grâce à sa persévérance, une part d’une existence niée par son entourage social, clérical et familial. La mise en scène s’appuie sur un mur de photographies de famille, de paysages irlandais, de scènes d’émeutes qui, barrant l’horizon, forme écran ; mais, dans la paroi, s’ouvrent, un instant, des interstices où s’engouffre la vérité. Une peau de mouton sur un tabouret évoque l’Irlande, comme la musique qui au final accompagne Peter O’Farrell enfin retrouvé, au-delà du mur de l’absence. Un beau et bon spectacle servi par une comédienne pénétrée, où pendant près d’une heure et demie on balance entre rires débridés et prégnante émotion.
An irish story, une histoire irlandaise
De et par : Kelly Rivière
Collaboration artistique : Jalie Barcilon, David Jungman, Suzanne Marrot, Sarah Siré
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 30 juin 2019 au Théâtre de Belleville, Paris 11e (01.48.06.72.34)
- Les 18 et 19 avril 2019 Ã Saint-Etienne-de-Saint-Geoirs (38)
- Le 5 juin 2019 à Azay-le-Brûlé (79)
- Du 1er septembre au 30 décembre 2019 au Théâtre de Belleville, Paris 11e (01.48.06.72.34)