Richard II : la dynamique du gain et de la perte selon Guillaume Séverac-Schmitz
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Richard II de William Shakespeare est une fresque historique de trente personnages, à l'intelligibilité évidente pour les autochtones, bien moins pour les mangeurs de grenouilles que nous sommes. Pour faciliter notre immersion dans cet épisode de la Guerre des Deux-Roses, Guillaume Séverac-Schmitz a imaginé une version plus que dépoussiérée, vitupérante de jeunesse et de vitalité, délicieusement décalée et exaltée. Optant tout d'abord pour une adaptation, traduction et dramaturgie exclusives, il nous offre l'occasion d'entendre Shakespeare d'une manière bien moins classique qu’à l’accoutumée, rafraîchissant sans l'outrager l'icône sacrée; le verbe se pare ainsi de modernité et d'un franc-parler, dans certaines répliques, cherchant à restituer par sa teneur argotique les niveaux de langue variés qu'utilisait Shakespeare et que les traductions conventionnelles n'osent pas souvent reproduire. A l'ouverture de la pièce, il choisit ensuite de reproduire le meurtre du duc de Gloucester, à l'origine de la dispute entre Bolingbroke et Mowbray, une scène qui n'existe pas dans l'œuvre originale mais permet aux non-initiés d'avoir sous les yeux l'objet du conflit, d’en mesurer la gravité et d’en mieux percevoir les enjeux.
Dans cette interprétation du collectif Eudaimonia, Richard apparaît comme un roi clownesque, un Ubu excentrique et freluquet qui, dans sa chute, retrouve peu à peu son humanité. Une figure du pouvoir narcissique qui se noie dans le miroir de sa vanité et des paroles flatteuses des courtisans, embrasse la démesure jusqu'à la folie et oscille entre l'insolence arrogante du petit-fils prodigue et la fragilité -avérée historiquement- du psychopathe. Face à lui, Bolingbroke effectue un parcours inversé : de cousin forcé à l'exil et dépossédé de son héritage, figure de droiture, de loyauté et d'allégeance au Roi Richard, il s'improvise peu à peu héros providentiel pour le peuple anglais, commence à punir ceux qui l'ont outragé et rétrécit sa pitié jusqu'à devenir ce roi paranoïaque dès ses premières heures sur le trône, persuadé qu'on voudra le renverser et qui n'accepte pas de porter la culpabilité de l'assassinat commandité de Richard.
Comment exprimer la problématique du pouvoir et de son irrésistible attraction, centrale dans cette oeuvre shakespearienne? A la Renaissance, voir et pouvoir sont intimement liés. Celui qui éclipse ses adversaires est le grand vainqueur. Guillaume Séverac-Schmitz met ainsi en exergue le "poids" de la couronne d'Angleterre, qui se manifeste physiquement dans le jeu des personnages. On est quelqu'un quand on la porte, on devient "rien" lorsqu'on s'en dévêt. Eternel recommencement, tous les coups sont permis pour la conserver ou la ravir.
Pour illustrer le caractère spectaculaire de la royauté, la mise en scène exploite également la comparaison shakespearienne qui fait de la vie un grand théâtre. Brisant régulièrement les illusions de la représentation ( en rallumant les lumières dans la salle et en prenant en compte la présence du public), sur le plateau, les acteurs-personnages ne cessent de réclamer l'attention des spectateurs, tantôt membres de la cour, tantôt peuple courroucé. Les comédiens rivalisent de charisme, de poignées de main, d'artifices et de mots percutants pour gagner son assentiment. Le comique pointe donc parfois dans cette version singulière car Guillaume Séverac-Schmitz a souhaité montrer des comédiens qui ont bien conscience d'incarner des personnages, de changer de rôles ( ils sont 7 pour incarner toute la distribution de Shakespeare) et de ne pas mourir réellement sur scène.... Tout prend un côté carton-pâtes, décalé et goguenard...même si la tragédie et sa gravité majestueuse les rattrape toujours et offre de belles scènes d'émotion dramatique.
La scénographie s’avère inventive quoiqu’épurée : peu de décors, quelques accessoires que l'on remaquille, couvre d'un drap ou badigeonne d'hémoglobine. Un effet d'ombres ou de lumières, une posture, trois drapeaux ou un brouhaha de grommelots aux inflexions anglaises deviennent la raison suffisante d'une atmosphère. Cette tragédie renfermant un univers symbolique omniprésent, on félicitera les évocations plurielles des éléments naturels, qui se déploient sous nos yeux grâce à un ventilateur, les marbrures et miroitements de l’eau, les jeux d'ombres et de lumières, et qui font naître, en étroite collaboration avec le texte et le jeu des acteurs, des images puissantes et mémorables. Une création sonore de qualité, aussi pertinente qu'hétéroclite, permet aussi d’exprimer la poésie et le lyrisme de l'œuvre. Enfin, la direction d'acteurs est à saluer. Leur justesse et leur tenue sont remarquables, impulsant une énergie indispensable à la bonne digestion d'une pièce de 2h30. Seule au milieu d'un casting masculin irréprochable, Olivia Corsini incarne avec brio tous les rôles de femmes et chacune de ses métamorphoses est un enchantement.
Ce Richard II est une récréation shakespearienne de grande qualité. Sous une pluie de pétales de rose, le génie du dramaturge explose de jeunesse, de vitalité et d’inventivité. Le collectif Eudaimonia a incontestablement du talent et est à suivre de très près!
Richard II
Création 2015
Conception: Guillaume Séverac- Schmitz/ Collectif Eudaimonia
Traduction, adaptation et dramaturgie: Clément Camar-Mercier
Avec Jean Alibert, François de Bauer, Olivia Corsini, Baptiste Dezerces, Pierre Stefan Montagnier, Thibault Perrenoud et Nicolas Pirson
Scénographie: Emmanuel Clolus
Lumière: Pascale Bongiovanni
Costume: Emmanuelle Thomas
Son: Yann France/ Guillaume Séverac-Schmitz
Construction: Les Ateliers du Grand T, Théâtre de Loire-Atlantique
Durée: 2h30 sans entracte
A partir de 14 ans
Crédit-photo : Richard II Loran Chourrau / le petit cowboy
Dates de représentation:
- Les 3 et 4 novembre au Théâtre de l'Archipel ( Perpignan )
- Le 13 novembre 2015 au Théâtre Jacques Coeur ( Lattes, 34)
- Le 27 novembre 2015 au Théâtre Jean Vilar ( 92150 Suresnes)
- Le 4 décembre 2015 au Théâtre Montansier ( Versailles)
- Du 4 au 6 février 2016 au Théâtre du Gymnase ( Marseille-Aix en provence)
- Les 12 et 13 février 2016 au Cratère, Scène Nationale d'Alès ( 30)
- Les 26 et 27 juillet 2016 au Festival de Figeac, Espace Mitterand, Figeac
- Du 4 au 8 octobre 2016 au Centre Dramatique National La Manufacture , Nancy
- Le 9 décembre 2016 au Théâtre de Chelles
- Les 14 et 15 décembre 2016 à la Scène Nationale 61,Théâtre d’Alençon
- Les 13 et 14 janvier 2017- Le Figuier Blanc, Argenteuil

- Les 17 et 18 janvier 2017 au Château Rouge, Annemasse
- Le 21 janvier 2017 au Théâtre des bergeries, Noisy-le-Sec
- Le 24 janvier 2017 au Théâtre de l'Olivier, Istres
- Les 27 et 28 janvier 2017 au Théâtre National de Nice
- Le 3 février 2017 Théâtre Le sémaphore, Port-de-Bouc
- Les 5 et 6 avril 2017 à La Halle aux grains, Scène Nationale de Blois
- Les 20 et 21 avril 2017 à La tuilerie, théâtre de Bédarieux, en partenariat avec Le Sillon, Clermont l'Herault
- Le 28 avril 2017 au Théâtre de Châtillon
- Le vendredi 10 novembre à 20h30 au Théâtre de Chelles
- Le vendredi 10 novembre 2017 à 20h30 au Théâtre de Chelles
- les 21 et 22 novembre 2017 à la Passerelle, Scène Nationale de St-Brieuc
- le 29 novembre 2017 au théâtre de Cesson Sévigné
- le 21 décembre 2017 au théâtre des Treize Arches de Brive
- les 30 et 31 janvier 2018 au théâtre de Nîmes
- du 6 au 10 février 2018 à la Mac-Maison des arts de Créteil
- du 27 février au 1er mars 2018 à la Coursive Scène Nationale de la Rochelle
- du 15 au 24 mars 2018 au théâtre de la Croix Rousse de Lyon
- les 28 et 29 mars 2018 au théâtre la Piscine Chatenay Malabry
- les 4 et 5 avril 2018 à la Scène Nationale d'Angoulême
L'interview de Guillaume Séverac-Schmitz ICI