Ça ira : Joël Pommerat dans le tourbillon de la Révolution Française
- Écrit par : Marie du Boucher
Par Marie du Boucher - Lagrandeparade.fr/ Presque quatre heures et demie de spectacle, en banlieue, il fallait être motivé. On signe pourtant, et on est emporté, durant toute la soirée, dans le tourbillon de la Révolution.
Pommerat réussit le coup d’éclat de reproduire la houle qu’il y avait à l’Assemblée du Tiers-Etat dans la salle des Amandiers à Nanterre. Pas les grands noms de la Révolution (Danton, Robespierre), mais des députés qu’on ne connaissait pas, et qui se succèdent au micro. La mise en scène actualise en effet les évènements : les personnages sont en costard. A la rencontre organisée au théâtre samedi dernier, Guillaume Mazeau, l’historien qui a collaboré avec Pommerat pour ce spectacle, expliquait qu’ils avaient cherché à représenter le « présent du passé » : le présent des révolutionnaires.
Le présent, ou la présence, c’est la grande question que se pose Pommerat qui s’interroge, à l’occasion de cette rencontre, sur l’ennui au théâtre (au contraire, quand un acteur est bon, on dit qu’il a « de la présence »). Si on décroche parfois, n’est-ce pas parce qu’on a l’impression que l’on nous ressert les plats, que ce qui se joue devant nous est de l’ordre d’une répétition (les comédiens reproduisant les textes qu’ils ont appris, les déplacements qu’ils ont mémorisé) ? L’auteur-metteur en scène cherche alors à faire en sorte que ce qui se joue devant nous se produise pour la première fois. Pour illustrer son propos, il raconte une anecdote. Un soir, attendant un ami qui devait arriver par le train, il s’ennuie dans sa voiture sur le parking de la gare. Soudain, son attention est captée par l’apparition d’un individu éméché, se faisant mettre dehors du café en face de la route. L’homme titube. Bientôt, Pommerat le perd du regard et sombre de nouveau dans l’ennui. Quand l’homme enfourche la barrière et s’apprête à traverser la nationale (sur laquelle il y a beaucoup de trafic), notre spectateur est happé par la scène. L’homme réussit à traverser sans encombres, mais pendant quelques instants, le présent s’est intensifié : chaque millionième de seconde s’étire et compte. C’est ce que Pommerat voudrait restituer au théâtre.
Pari réussi, on est suspendu aux débats, convaincus tour à tour par les députés. Comment se situer face à des orateurs si convaincants ? C’est une des questions – politiques- que pose ce spectacle. D’autres, plus classiques, comme celle de savoir ce qui est légitime quand ce n’est pas légal dans une révolution. Le défi, c’était de raconter une histoire dont on connaît déjà la fin. Pourtant, c’est le suspense de part en part quand on a oublié les détails de l’Histoire. La tension qui agite la pièce, c’est celle du dilemme entre la volonté de philosopher – l’Assemblée du Tiers Etat s’est mue en assemblée constituante – et celle de régenter l’ordre public, quand le pays est à feu et à sang. Cet état de crise – qu’on pourrait facilement transposer à l’échelle individuelle - est rendu magistralement au théâtre, où les diverses lignes idéologiques sont incarnées par plusieurs voix et campées par différents comédiens (ils sont trente-cinq sur scène) qui troquent de rôle comme de perruque. Viva Pommerat !
Ça ira (1) Fin de Louis, de Joël Pommerat
Cie Louis-Brouillard
Avec : Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Yannick Choirat, Éric Feldman, Philippe Fréon, Yvain Juillard, Anthony Moreau, Ruth Olaizola, Gérard Potier, Anne Rotger, David Sighicelli, Maxime Tshibangu, Simon Verjans, Bogdan Zamfir
Scénographie et lumière : Éric Soyer
Costume et recherches visuelles : Isabelle Delfin
Son : François Leymarie
Dramaturgie : Marion Boudier
Assistant à la mise en scène : Lucia Trotta
Conseiller historique : Guillaume Mazeau
Photo : Élisabeth Carecchio
Au Théâtre Nanterre-Amandiers (7, avenue Pablo-Picasso • 92000 Nanterre)
Du 4 au 29 novembre 2015 ( Tous les jours à 19 h 30, dimanche à 15 h 30, relâche le lundi)
Durée : 4 h 20 avec pauses comprises (2 entractes de 10 minutes)
Tournée :
- Les 3 et 4 décembre 2015, à L’Apostrophe, Cergy-Pontoise,
- Les 10 et 11 décembre 2015 au Volcan, Le Havre
- Du 8 au 28 janvier 2016, Villeurbanne, au T.N.P. avec Les Célestins, Lyon
- Les 3 et 4 février 2016, à l’espace Malraux, scène nationale de Chambéry
- Du 9 au 11 février 2016, à Bonlieu, scène nationale d’Annecy
- Les 18 et 19 février 2016, à La Ferme du buisson, scène nationale de Marne-la-Vallée
- Du 3 au 6 mars 2016, à la Mostra internacional de teatro, São Paulo (Brésil)
- Du 16 au 19 mars 2016, Centre national des arts, Ottawa (Canada),
- Les 22 et 23 avril 2016, Les Théâtres de la ville, Grand Théâtre du Luxembourg
- Du 28 au 30 avril 2016, La Filature, scène nationale de Mulhouse
- Du 10 au 14 mai 2016, Théâtre du Nord, C.D.N. de Lille
- Du 18 au 27 mai 2016, M.C.2 de Grenoble
- Les 19 et 20 juin 2016 au Printemps des comédiens 2016 - Montpellier
En 2019:
- Du 13 avril au 2 juin 2019 au Théâtre de la Porte Saint Martin ( 18 boulevard saint martin, 75010 Paris)