Mais n'te promène donc pas toute nue ! : Mémé 68 et Feydeau-do ont pris un coup de chaud...
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.com/ « Si vous n'aimez pas Feydeau, soyez bien sûr qu'il ne vous aime pas non plus », est-il écrit sur une large banderole tenue par deux acteurs moustachus, façon 1900.
L'ambiance est donnée... Charly Marty, le jeune metteur en scène de "Mais n'te promène donc pas toute nue", ce classique de George Feydeau, a une manière bien à lui de fêter le cinquantenaire de Mai 68, en plaçant l'action de ce vaudeville sous Pompidou, juste après le règne du Général de Gaulle. Au début, il respecte donc les codes (enfin presque), en plantant le décor (texte de la pièce dit par un des acteurs) : « Le salon des Ventroux. Au fond, au milieu de la scène, porte à deux vantaux, ouvrant sur l'intérieur (battant droit fixé par une ferrure extérieure). Cette porte donne sur le vestibule, au fond duquel, juste en face, on aperçoit la porte d'entrée ouvrant elle-même sur le palier (battant droit fixe). A droite de la porte du salon sur vestibule, également face au public, porte à un vantail ouvrant sur la coulisse, et menant à la chambre de Clarisse. A gauche de la scène, premier plan, un pan de mur contre lequel un meuble d'appui quelconque. Au deuxième plan, formant pan coupé, porte à caisson, à deux vantaux, conduisant dans le cabinet de travail de Ventroux. A droite de la scène, premier plan. La cheminée (...) ». Mais il n'y a pas de cheminée sur le plateau lui souffle son partenaire moustachu.
On comprend vite que les comédiens (4 hommes, une femme) vont prendre des libertés avec le dit-texte. Disons qu'il y a quelques ajouts - des histoires (sexistes) qui se veulent drôles par exemple - et toujours ces références à Pompidou, qu'il imagine l'espionnant par la fenêtre. Or donc les codes du théâtre de vaudeville sont là. La trame avance. Mais au fait, pour celles et ceux qui ne connaissent pas encore ce hit du théâtre de boulevard, voici le pitch : un député ambitieux s'apprête à recevoir un industriel qui a soutenu son adversaire politique en des termes peu amènes mais son épouse, qui a chaud (c'est un été caniculaire) se promène en déshabillé transparent... On comprend qu'il redoute davantage le regard de la « bonne société » que celui de sa femme. Laquelle femme préfigure le mouvement féministe puisque bien dans son corps, comme dans sa tête, elle lui demande pourquoi elle n'aurait pas le « droit » de se promener à moitié nue devant son fils adolescent, qui est la chair de sa chair, enfin surtout parce qu'elle est chez elle. Question de bon sens. Puis survient une guêpe... et le fameux adversaire politique, à qui elle va réclamer qu'il « lui suce le dard ». En effet, elle s'est fait piquer (à force de se promener « toute nue ») et redoute un empoisonnement « charbonneux ».
La scène du face à face, empesé de convenances, entre les deux opposants politiques est à se tordre de dire. Mais les masques sociaux vont vite tomber, les comportements humains (ils s'amusent à faire péter leurs aisselles) devenir risibles. La mécanique de la comédie s'emballe. On passe des classiques portes qui claquent à la commedia d'Dell'arte, en passant par le dessin animé façon Tex Avery, avec une pensée pour Louis De Funès (il y en a pour tous les goûts). C'est rythmé, drôle, les acteurs jouent le jeu de manière de plus en plus frénétique, mécanique... Jusqu'à ce l'épouse (Camille Roy, qui envoie du bois !) se mette en colère. Elle n'a pas de gilet jaune mais elle explose de fureur. Elle incarne « la » femme qui entend (enfin) se faire respecter. Elle hausse le ton. « Sex-prime »... S'affirme, se libère, s'affranchit de la domination masculine. Elle gueule, se virilise, en singeant son mari. On bascule dans un autre tableau, plus moderne, où les corps se dénudent, ou la révolte confine à l'anarchie. Il y a de la fumée sur le plateau, les acteurs évoluent au ralenti, comme dans un rêve. Ou plutôt un cauchemar. On dirait une performance artistique. Une installation qui se désinstalle en direct-live. Ou un tableau animé (régie lumière : Hugo Dragonne). On pourrait penser qu'ils n'ont pas fumé que la moquette, sur une musique planante (Vincent Fleury).
On est bien loin de la farce conjugale. Plus proche du carnaval de Dunkerque. En voix off deux femmes (dont la grand-mère – ou mémé - de Charly Marty, le metteur en scène) racontent comment elles ont vécu leur Mai (mémé) 68 à la campagne : un grand désordre, pour résumer. La partition millimétrée de Feydeau est à des années lumières. De l'absurde on est passé au chaos. Une autre folie s'est installée, à la fois violente et festive. Sauvage. Animale, féroce, bestiale, sexuelle... et drôle. On ne communique plus dans les années 70. On nique ! Il y a de l'énergie et de l'humour dans ce dépoussiérage de Feydeau. Pour éviter les clichés il fallait les utiliser pour mieux les détourner. L'alchimie opère. Quatre-vingt-dix pour cent du public est enchanté. Une minorité s'insurge : comment osent-ils ? C'est bien, c'est vivant. Il se passe quelque chose sur scène. On reste dans le burlesque, finalement, de la comédie humaine et des convenances bourgeoises. Marty a ressuscité Feydeau qui n'est plus un fardeau. La fin est peut-être trop longue. Les acteurs sont au ralenti. Avant de chanter une chanson égrillarde qui boucle la boucle. Même si #metoo est passé par-là. Le sexe et la nudité font toujours rigoler. Au fond, l'être humain, quand il est « à poil » n'a pas tellement changé depuis la préhistoire. Il doit se battre pour se faire respecter. Et rire de lui-même pour vivre en bonne intelligence. Charly Marty et ses cinq acteurs font leur big bang du côté d'Amiens, à la Comédie de Picardie. Vivement la tournée... Générale ! Les voilà.
Mais n'te promène donc pas toute nue !
Durée : 1h30
De George Feydeau
Mise en scène : Charly Marty (création Comédie de Picardie)
Avec Charles-Antoine Sanchez, Camille Roy, Yannick Landrein, Simon Vincent, Mathieu Barché et les voix de Marie-Thé Lévêque et Jacqueline Marty
© Ludo Leleu
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au jeudi 20 décembre 2018, sauf le lundi, à 20 h 30, ou 19 h 30 le samedi, et 15 h 30 dimanche. Tel : 03 22 22 20 / www.comdepic A la Comédie de Picardie ( 62, rue des Jacobins – 80 000 Amiens)