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La Cantate à trois voix : l’hymne aux vestales de l’absence

  • Écrit par : Serge Bressan

CantatePar Serge Bressan - Lagrandeparade.fr / Trois femmes, la nuit du solstice d’été, chacune est séparée de celui qu’elle aime. C’est Laeta la fiancée, Fausta l’exilée et Beata, la veuve. L’une Latine, l’autre Polonaise, la troisième Egyptienne.

Toutes trois habitent « La Cantate à trois voix Â», long poème dramatique écrit en 1911 par Paul Claudel (1868- 1955), l’un des écrivains français essentiels du 20ème siècle et dont on célèbre cette année le 150ème anniversaire de sa naissance. Dans la présentation de son poème, l’auteur place l’action « sur la terrasse d’un château dans les Alpes, parmi les forêts, les vignes et les moissons Â» et précise que les trois femmes « rêvent, regardent, conversent et chantent Â», on imagine le Rhône, et la Saône qui le rejoint. Cette pièce, monument de lyrisme et de poésie, a été rarement montée- dans la mémoire, subsistent les belles versions d’Alexis Tikovoï en l’abbatiale Saint-Ouen de Rouen en septembre 1979 avec Estella Blain, Carole Chauvet et Marika Green, et de Madeleine Marion pour la Comédie-Française en janvier 2003 avec Céline Samie, Céline Brune, Rebecca Convenant. Ce qui donne une petite idée du défi, de la folie que se sont imposés Danièle Meyrieux et Tarik Benouarka en mettant en scène cette « Cantate à trois voix Â» et qu’ils présentent, en cet automne, dans le beau Théâtre de l’Epée de Bois à la Cartoucherie de Vincennes- sous la haute bienveillance de l’immense Ariane Mnouchkine. 

Trois femmes vestales de l’absence, en cette heure « où l’année qui se sépare en deux laisse par un étroit interstice filtrer l’éternité Â». Trois vestales qui disent : « C’est son absence seule qui nous fait naître / Et qui sous le mortel hiver et le printemps incertain compose / Entre les feuilles épineuses parfaite enfin la rouge fleur de désir en son ardente géométrie ! Â» Planent alors le mystère, la méditation sur la présence et l’absence. Dans une note d’intention, Danièle Meyrieux- qui a travaillé à la mise en scène et joue l’une des trois femmes, annonce que la pièce de Claudel « décrit avec finesse un monde en mutation. Notre société, comme celle de 1911, vit des bouleversements que le grand poète pressent et traduit pour nous. Claudel, comme Shakespeare, Cervantès ou Tchekhov, est capable de décrypter n'importe quel moment de l'histoire Â». De son côté, Tarik Benouarka- l’initiateur du projet et co-metteur en scène, précise : « Notre lecture de l’œuvre se fonde sur l’idée que la féminité est un langage pour décrire le monde... C’est une ode au désir ; désir comme autre forme de rencontre... Celle de l’imaginaire et du monde réel... Nous avons imaginé « La Cantate à trois voix Â» comme une rencontre entre le surréalisme et le romantisme, incarnée par une direction d'acteurs et le corps d’une musique chargés d’émotions paradoxales et de sentiments qui se mélangent ou s'entrechoquent Â».
Sur la droite de la scène, pour décor, juste un gros rocher- sur lequel les comédiennes viendront, de temps à autre, s’asseoir, s’allonger. Dans le fond, un rideau de tulle blanc et fin- qui assure une semi-transparence et laisse deviner une jeune femme jouant du violoncelle. Et c’est toute la force, toute la beauté, toute la magie de cette version de « La Cantate à trois voix Â» voulue, imaginée, mise en espace et en scène par Danièle Meyrieux et Tarik Benouarka. Ce dernier signe là sa première mise en scène au théâtre, c’est une réussite d’élégance et d’intelligence : il a envisagé « La Cantate… Â» de Claudel non pas comme une pièce de théâtre mais comme une Å“uvre totale- mêlant théâtre, messe et opéra. A vrai dire, ce n’est pas là une surprise, il suffit de s’intéresser un peu au travail de Benouarka- depuis les années 1980, il a composé des messes et aussi des opéras en langue arabe, travaillé dans les grands studios britanniques (entre autres, avec Peter Gabriel) et américains (des collaborations avec Jay-Z et Beyoncé !), créé des jingles pour la publicité et des sons pour des jeux vidéo… A la manière d’un Patrice Chéreau, il appréhende les mots de Paul Claudel en les enveloppant d’une musique douce, enivrante, captivante, ensorcelante de sons de la nature.
Alors, les cantates de Claudel dites par trois comédiennes du plus beau niveau (Danièle Meyrieux en Beata, Pauline Moingeon Valles en Fausta, Mélodie Le Blay en Laeta vêtues de magnifiques robes-capuches rouges pour deux d’entre elles, blanche de toute virginité pour la troisième) deviennent moments suspendus, hors du temps. Dans le fond de l’air, flotte un parfum de rose, et les vestales de l’absence pointent, elles, de l’aube au crépuscule d’un solstice d’été, vers l’éternité. C’est joliment dramatique, tranquillement mystique, furieusement lyrique…

 La Cantate à trois voix de Paul Claudel.
Mise en espace, mise en scène : Tarik Benouarka et Danièle Meyrieux.
Avec Danièle Meyrieux, Pauline Moingeon Valles, Mélodie Le Blay.
Musique : Tarik Benouarka.
Violoncelle : Eléonore Siala Bernhardt.
Costumes : Victor Feres.
Lumières : William Orego Garcia.
Durée : 1h15.

Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 20 octobre 2018. Du lundi au samedi, 20h30. Egalement samedi, 16h. Au Théâtre de l’Epée de Bois- Cartoucherie (Route du Champ de ManÅ“uvre , 75012 Paris) - Tél. : 01 48 08 39 74. www.epeedebois.com
 


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