Isabelle Andréani : Félicité ou l'incarnation parfaite d'Un Cœur Simple de Flaubert
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Si vous ne l'avez pas déjà lu, au lycée ou à l'université, rappelons qu'Un cœur simple est le premier des TROIS CONTES (avec Hérodias et La légende de Saint-Julien l'Hospitalier), dernière oeuvre achevée de Flaubert, publiée de son vivant, en 1877, et qui sentait donc la mort approcher (d'où la thématique « christique » d'au moins deux de ces contes : deux chef-d'oeuvres !). Et on peut dire qu'à l'image d'Ernest Hemingway, plus tard, avec son Vieil homme et la mer, Gustave y donne tout ce « qu'il a », comme on dit aujourd'hui, au sens où il a dégraissé jusqu'à l'os son style d'écriture au point de frôler la perfection. Et l'on peut dire qu'Isabelle Andréani frise également la perfection dans son incarnation de cette brave servante illettrée, Félicité, que sa patronne prend pour une idiote alors qu'elle est juste devenue sourde, peut-être à force d'entendre des horreurs et des bêtises. Résumé du conte. Félicité qui a cinquante ans, au moment du récit (mais en paraissait 40... à 25 ans, explique-t-elle), est au service de Mme Aubain, veuve endettée et mère de deux enfants, qui a dû emménager dans une maison héritée de ses ancêtres à Pont-l'Évêque. Servante modèle, Félicité est entrée au service de Mme Aubain à l'âge de 18 ans suite à une déception amoureuse - l'homme qu'elle aimait s'est marié avec une vieille femme pour échapper à la conscription. Félicité s'occupe des enfants de Mme Aubain, Paul et Virginie, âgés de sept et quatre ans puis Paul va quitter la maison pour suivre des études au collège de Caen. Félicité souffre d'abord de ce départ puis se trouve consolée par une nouvelle distraction : le catéchisme quotidien de Virginie. Mais la fille de Mme Aubain part bientôt poursuivre son éducation chez les Ursulines à Honfleur. Félicité va alors reporter son amour sur son neveu Victor qui s'engage pour un voyage au long cours dont il ne reviendra pas. Quelque temps après, la petite Virginie meurt d'une fluxion de poitrine.
Félicité, seule, voue alors une immense tendresse à Loulou, un perroquet dont on lui a fait cadeau. Suite à une angine, la servante devient sourde; ainsi isolée du monde, elle ne perçoit plus que la voix de son perroquet quand un matin d'hiver elle découvre Loulou mort. Sa douleur est tellement grande que suivant le conseil de Mme Aubain, Félicité décide de le faire empailler. Après la mort de Mme Aubain, la pauvre servante reste dans la maison invendue qui se dégrade peu à peu. Ayant contracté une pneumonie, Félicité ne vit plus que dans l'unique souci des reposoirs de la fête-Dieu. Elle décide même d'offrir Loulou empaillé pour orner le reposoir situé dans la cour de la maison de Mme Aubain. Pendant que la procession parcourt la ville, Félicité agonise et dans une ultime vision, le Saint-Esprit lui apparaît sous l'aspect d'un gigantesque perroquet.
Dit comme ça... ça ne donne pas envie, c'est sûr. Mais grâce à la plume géniale de Flaubert, son sens du détail dans le récit, on y est, on est pris. Comme c'est le cas avec les grands auteurs : Hugo, Balzac... Et quand l'interprétation se met au diapason, comme c'est le cas pour Isabelle Andreani, qui a déjà joué le rôle de Félicité au dernier Festival d'Avignon, c'est le pompon ! Elle y met une telle énergie, un tel engagement, que l'on croirait voire la servante pour de vrai, comme on disait enfant. Elle termine le spectacle en sueur et les larmes aux yeux, comme le public envouté. Isabelle Andréani, comme Flaubert, rend ici hommage à ces milliers, ces millions de femmes qui se vouent aux autres, corps et âmes ; qui donnent leur vie pour que les autres accomplissent la leur. A ses femmes qui se sacrifient, comme un certain Jésus. La mise en scène de Xavier Lemaire, compagnon à la ville de la comédienne, est épurée au maximum, comme le texte de Flaubert. Trois estrades pour figurer les différents sols (maison, jardin, routes de campagne), à plusieurs niveaux, un fil pour tendre le linge, un battoir, un jouet et un vêtement d'enfant ; sans oublier le perroquet, Loulou, empaillé mais si bien éclairé. Son rouge éclate au moment où Félicité ferme les yeux pour se reposer enfin éternellement. Une oeuvre universelle. Une incarnation parfaite. Un moment rare de théâtre.
Un cœur simple
Texte: Gustave Flaubert
Mise en scène : Xavier Lemaire
avec Isabelle Andréani
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 3 novembre 2018 au Théâtre de poche (75, bld du Montparnasse, 75006 Paris); du mardi au samedi à 19 H. Réservation au 01 45 44 50 21