On n’est pas des chiens : un seul en scène sans concession
- Écrit par : Catherine Verne
Par Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Le très hors du commun spectacle de Jean-Rémi Chaize nous immerge dans une galerie de personnages on ne peut plus communs, qu'on dirait sortis de la vie courante tels la caissière d'hypermarché, le guide de musée ou la grand-mère rédigeant sa liste de courses. C'est que l'artiste leur confère un réalisme brut et sans concession, dont l'effet miroir pas toujours complaisant a de quoi étourdir. Et l'humoriste de dépeindre chacun d'eux en observateur naturaliste, depuis le centre du monde qui lui est propre, à l'image de la dépressive focalisée sur elle-même comme le seront tous les individus totalement dénués de recul -voire de conscience- de cette galerie de l'horreur ordinaire. Aussi assiste-t-on de l'intérieur aux soubresauts d'une mécanique mentale qui s'exprime en loghorrée verbale, discontinue et prolixe. C'est que le propos ici est surtout formel, il restitue l'imparable -quoiqu'absurde- logique des uns et des autres, articulant des rouages qui tournent presque à vide sur eux-mêmes: la caissière répète ses consignes en roue libre jusqu'à l'hystérie, le guide communique en pas moins de quatre langues à la fois, l'amoureux s'épanche en paroles tirées de chansons populaires, le narcissique orchestre sa vie privée en mode journal télévisé. Si on rit, c'est frappé par l'aspect justement mécanique de cette logique subjective, voire intersubjective qui anime les personnages. Car la désarticulation guette, sous chaque monologue articulé. Une désarticulation peut-être métaphorique du corps social atomisé, dont chaque expression codifiée et redondante vient tourner en boucle sur elle-même. L'occasion en tout cas pour l'artiste de jeter sur l'humanité un regard caustique, dénonçant la maltraitance maternelle qui s'exerce en toute impunité émotionnelle, la solitude post-moderne ou le règne de la forme au détriment du fond, jusqu'à ériger la convention au rang de seconde nature. Remarquable performance que "On n'est pas des chiens", cette cynique mise sous les projecteurs d'individus parfois attachants cependant dans leurs folies respectives et si ordinaires, chacun s'employant à construire du sens là où le vide existentiel semble inexorablement rôder. Un regard très émouvant au final car les postures de ces personnages ne sont pas seulement pathétiques, elles sont surtout dérisoires. Et l'on n'est pas loin de trouver à chaque personnage des allures de chien affublé d'une collerette ridicule et qui, transcendant sa condition misérable, redresserait coûte que coûte l'échine.
On n’est pas des chiens
Auteur : Jean-Rémi Chaize
Artiste : Jean-Rémi Chaize
Metteur en scène : Mathieu Quintin
Dates et lieux des représentations:
- Du 6 au 28 juillet 2018 - relâche les 16, 23 juillet à 14h45 - au PANDORA ( 3, rue Pourquery de Boisserin, 84000 - Avignon) - Festival Avignon Off 2018