Réda Sedikki : humoriste sans frontières
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Mohamed Fellag a trouvé son successeur (pour la drôlerie et l’intelligence du propos). Le jeune Réda Seddiki n’est pas kabyle - il est né à Tlemcen - et il fait moins le clown (quoique… son costume !?) que son aîné mais, sous couvert d’humour noir, corrosif, il a autant l’amour de sa terre natale chevillée au cœur : « Si l’Algérie m’a donné la vie, la France me l’a apprise », disait-il dans un précédent spectacle. On sait ce qu’on quitte, on ne sait pas ce qu’on trouve, c’est bien connu.
Réda Sedikki ne ménage pas son pays de naissance (notamment le président Bouteflika) tout en ciblant plus particulièrement la France, pays (des « Droits de l’Homme », parait-il) qu’il a fantasmé au point de l’imaginer en damoiselle à courtiser. L’accueil fut pour le moins glacial, ce, dès le poste de douane, à la frontière : « Vos papiers ! ». Il en a, il en a… le Réda. Notamment un permis de conduire valable jusqu’en 2029 ! Son visa arrivant à échéance tous les six mois, il se demande s’il ne devrait pas rester dans sa voiture… Pour faire comprendre au public ce qu’on ressent quand on est « immigré » sans papier, il l’emmène à Tlemcen. Il ne s’y passe pas grand-chose, sur la place, mais bon, il est chez lui : « Vos papiers ! », demande-t-il soudain à un spectateur, à qui il a offert du thé. Sujet d’actualité s’il en est. Pas le thé, les « migrants » honteusement reçus par les pays dits riches et civilisés.
Réda Seddiki a mangé beaucoup de pâtes, dixit (oh, le pauvre !), quand il était étudiant à la Sorbonne, et gagné sa croûte en faisant des petits boulots d’étudiant. Mais bon, s’il doit supporter les contrôles d’identité, parfois humiliants, ce n’est pas un « immigré » comme les autres, au sens où il n’a pas fui un pays en guerre et n’est pas issu d’une famille démunie. Née d’une mère architecte et d’un père enseignant, il s’est lancé dans les mathématiques après son Bac, obtenu à 17 ans. Il utilise d’ailleurs sa passion pour l’algèbre dans son nouveau spectacle, « Deux mètres de liberté » émanation de son premier « seul en scène » : « Lettre à France ». Seul en scène qui commence comme un stand-up, façon « Comédie Club », mais se prolonge sans les gesticulations à la Jamel Debbouze.
Ce grand dadais de Seddiki (beau gosse !) pratique l’art de la drôlerie ironique, et manie les variables algébriques, tout en finesse, en pesant bien ses mots. Il ose aller aux limites de l’absurde, comme d’exposer l’idée selon laquelle le voile imposée aux femmes musulmanes est surtout un frein à la liberté de l’homme… puisqu’elles peuvent les observer partout, sans qu’ils s’en aperçoivent. Fallait y penser. Il brocarde également le bobo parisien qui se gargarise d’être né au pays du « siècle des lumières », se vante d’être communiste… et repart en Uber ! Comble du capitalisme… Réda Seddiki est un réel artiste à texte, au sens où, libre comme le vent du désert, il aborde les sujets de société qui fâchent : l’extrême droite ne serait rien sans les immigrés : cqfd. Mais, comme nos marseillais, il ne peut s’empêcher de vanter les mérites du lieu où il est né par hasard… aucun mérite à ça. C’est le seul bémol qu’on pourrait opposer à ce féru de dialectique : il penche, avec nostalgie douce, vers la revendication identitaire, communautariste, sans s’en rendre compte, comme monsieur Jourdain faisait de la prose. N’est-ce pas contradictoire, monsieur le professeur de mathématiques ? Bien mieux enseignées en Algérie qu’en France, évidemment… Voici l’arroseur arrosé. A force de manier les sophismes et les idées reçues (le bobo, le musulman), on prend le risque d’être pris à son propre jeu. Un humoriste néanmoins à suivre.
Réda Sedikki : Deux mètres de liberté
- Jusqu'au 2 septembre 2018 au Lucernaire ( 53, rue Notre-Dame-Des-Champs- 75006 Paris), à 21h30, les vendredi et samedi et à 19h le dimanche. Réservations au 01 45 44 57 34 / www.lucernaire.fr