Un riche, trois pauvres : scènes drolatiques et jeu de massacre
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Absurde, cruel, drôle. Avec "Un riche, trois pauvres", Calaferte explore les sentiments et travers humains dans un langage d’une verdeur excitante.
« Menteurs, hypocrites, imposteurs, crapules », et autres noms d’oiseau. Louis Calaferte ne fait pas dans la demi-mesure et nomme également les choses, situées entre le nombril et les genoux, crûment. Et la poésie, l’art théâtral, dans tout cela direz-vous ? Ils ne sont pas exempts des trente et quelques tableaux de "Un riche, trois pauvres". Seulement, il s’agit d’un théâtre de l’absurde, comme on a accoutumé de le qualifier. Nous lui préférerons l’appellation de « théâtre de la cruauté ». Six comédiens –trois femmes, trois hommes- six pitres sont jetés sur la piste du cirque de la vie. Et comme tous les clowns, ils font rire et grincer des dents, renvoyant les femmes et les hommes (les spectateurs ?) à leur propre image. Et ce n’est pas, comme au quotidien toujours très joli, joli. Dans ce spectacle, disons « déjanté » tout y passe des sentiments humains, tout : l’amour, la colère, l’envie, l’indifférence, la haine, l’instinct grégaire des foules réclamant leur lot d’horreur et de sang.
Et, bien entendu, on en rit : ne sommes-nous pas au spectacle où tout est grossi jusqu’à la caricature et l’absurde ? On rit des chutes, des baffes dans la tronche, des saillies et des dialogues d’une banalité si quotidienne, qu’on les croirait inventés. L’auteur aligne les mots, leur donne le tournis, s’en gorge jusqu’à la jouissance : de la poésie au final. Ici, tout est permis en matière de maquillage, de travestissement, de débit vocal : un joyeux bordel en somme. Même si "Un riche, trois pauvres" ressortit du music-hall, il n’en révèle pas moins une vraie profondeur : ne se trouve-t-on pas dans le monde des humains ? ; sous les strass sommeille la véritable nature des êtres. L’enfance (chère à l’auteur comme en témoigne son œuvre) perd rapidement de son innocence, confrontée qu’elle est, de plus en plus souvent de nos jours, aux horreurs de la guerre, de la précarité, des aléas des décisions des puissants. Un gosse énumère ce que sera sa vie : « d’abord je suis tout petit, et puis je deviens grand (…) et puis je deviens vieux (…) et puis j’suis mouru. Et puis c’est pour tout le monde pareil, on l’a tous dans le cul. »
Le jeu, parfois outré des comédiens, les effets lumineux et sonores, les interventions de Guignol (souvenir des années lyonnaises de Calaferte), amènent la distance nécessaire à ce jeu de massacre. Le décor, un chantier avec son panneau caractéristique, ces bittes et ces rubans orange suggère que tout est en destruction-reconstruction, qu’il s’agisse de la parole ou des êtres eux-mêmes, de leurs rapports. Le titre énonce une proportion de l’ordre de un quart-trois quarts entre possédants et pauvres. Ceci, c’était il y a fort longtemps. Aujourd’hui l’écart s’évalue en termes de centaines de millions. Ce que pouvait laisser entendre la violence du texte.
Un riche, trois pauvres
De Louis Calaferte
Mise en scène : Clio Van de Walle
Avec Tamara Al Saadi, Laura Mello, Omar Mebrouk, Charlotte Bigeard, Ismaël Tifouche Nieto, Geoffrey Mohrmann en alternance avec Sam Giuranna
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu’au 6 mai 2018 au Ciné 13 Théâtre, Paris 18e (01.42.54.15.12.)