Printemps des Comédiens 2018 : une « Fête de l’Esprit et du Sensible »
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Si la saison a pour l'instant la fraîcheur d'une grenouille et que les bourgeonnements prometteurs tardent à venir, le programme du Printemps des Comédiens, lui, est bien paru, tangible et propre à enthousiasmer les amateurs de culture de tous bords. Les éloges n’ont déjà pas tari dans la presse nationale et locale…
Il est vrai qu’ont été convoqués des oeuvres majeures d’auteurs fondateurs, des créations internationales et l’envie tangible d’en découdre avec l’universel, la réalité et l’imagination. Jean Varela, directeur de la programmation du Printemps, expliquait lors de la conférence de presse du 23 mars qu’il avait choisi des textes qui, chacun à leur époque, ont provoqué une révolution, une rupture, une source inépuisable pour la création : "une chaîne de solidarité spirituelle". Il y aura donc "Macbettu" une version Sarde de la tragédie écossaise de Shakespeare, jouée par sept hommes ( comme à l’époque élizabéthaine où les femmes étaient interdites de plateau), toute parée de noir et blanc. « Du théâtre flamboyant et hypnotique » qui a eu le Prix de la Critique Italienne. Thomas Bernhard s’invitera avec André Engel, dans un duo de la démesure, "Le faiseur de théâtre". Et puis on croisera Frantz Kafka dans « Le procès », un spectacle en polonais qui durera 5 heures, un spectacle-fleuve avec 17 comédiens. Un « hommage au théâtre qui pose la question de notre relation au pouvoir ». Krystian Lupa souhaitait faire résonance par le biais de cette oeuvre à un constat polonais inquiétant, dans un pays où les artistes font face à de grandes difficultés et à une liberté limitée. Krzysztof Warlikowski a choisi de son côté l’auteur israélien Hanokh Levin. « Metteur en scène empli de contradictions, il en fait son miel » et présentera « On s’en va » avec, pour fil directeur peut-être, cette grande idée de la tradition yiddish « On est toujours mieux ailleurs ». On se rappellera d'ailleurs que le dramaturge et metteur en scène israélien avait déjà résonné au coeur de la Pinède, en 2012, dans des Numéros Cabaret mis en scène par le regretté montpelliérain Richard Mitou. Le succès, la qualité et la perénité du Printemps des Comédiens résident aussi dans son attachement aux artistes et sa volonté de faire du lien, encore et toujours, entre passé, présent et avenir.
On attend particulièrement - parce qu’on avoue qu’on aime bien voir aussi des femmes aux commandes à la Grande Parade - Scortecata montée par la sicilienne Emma Dante. Elle met en scène un conte de Basile, plein de sortilèges et porté par « deux acteurs d’anthologie », Salvatore D’Onofrio et Carmine Maringola…où l'esprit de la Commedia Dell’Arte pétillera, théâtre populaire trop longtemps laissé de côté par les théâtreux et dont on se réjouit qu’on lui redonne ce qu’on lui doit. Si l’Italie est à l’honneur, la Méditerranée brillera aussi avec l’Espagne dans « Bodas de Sangre » où Oriol Broggi, par le truchement d’une mise en scène très épurée, fera résonner la langue de Federico Garcia Lorca, cette « langue paysanne sublimée par sa poésie surréaliste ». Portée par un orchestre en direct, tradition andalouse et modernité noceront 2h durant pour le plus grand plaisir des yeux et des tympans.
Nous parlions Commedia? Quel dramaturge français, outre Molière, a plus été influencé par elle que le grand Marivaux?! Denis Podalydès crée « Le triomphe de l’amour » avec Christian Lacroix aux costumes - rappelez-vous du flamboyant Bourgeois Gentilhomme découvert dans une précédente édition du Printemps! - et Eric Ruf à la scénographie. On nous annonce un "univers à mi-chemin entre Fragonard et Watteau"…un spectacle qui va attirer les foules, à n’en pas douter!
Le Printemps accueille aussi le grand Philippe Caubère que Jean Varela compare à un Arlequin habile qui a « une bibliothèque de sentiments en lui ». Il jouera seul dans l’Amphithéâtre d’Ô, accompagné de la complicité de la lune peut-être et de l’enthousiasme communicatif d’un public généreux, pour sûr.
Le Printemps nous invitera également en voyage avec « Les trois mousquetaires » qui se produira en feuilleton et sous forme d’une déambulation - grande tradition du Festival ! « De bosquet en bassin, de bassin en façade de château », 7 heures en compagnie de d’Artagnan, ça ne se refuse pas! Un autre voyage se déroulera du côté de la Perse, dans la pure tradition soufi. Un récit théâtral de Jean-Claude Carrière, « La conférence des oiseaux » dans l’écrin des micocouliers. Dix acteurs et un maquilleur épatant pour une parabole de la condition humaine à hauteur de chants d’oiseaux. Et puis il y aura aussi « Traversées » de Nourdine Bara, poète-acteur montpelliérain, qui prend le mot à bras-le-corps pour créer du lien et du vrai.
N’oublions pas "Festen" de Cyril Teste dont la précédente création « Nobody » jouée au Printemps en 2014 avait passionné les amateurs de théâtre , avec lequel la vidéo se mêle inextricablement au jeu des acteurs sur le plateau. Et puis aussi « Italienne, scène et orchestre » de Jean-François Sivadier qui invite le spectateur à assister à des répétitions de la Traviata de Verdi! Ce sera à l’Opéra-Comédie et les places vont être prises d’assaut sans nul doute!
Citons également, sous la houlette de Julien Bouffier : « Warm Up » , en partenariat avec la Gazette, « une sorte de visite guidée des coulisses de la création » qui se déroulera dans des lieux emblématiques de la ville : La Baignoire, Quartier Gare, Salle A3 et le Musée Fabre.
Laissez-vous tenter par « Hate » de Laetitia Dosch dans lequel une femme et un cheval vont croiser la métaphore…et avec Philippe Quesne à la scénographie! Mais aussi par « Mon grand-père » mis en scène par Dag Jeanneret avec Stéphanie Marc. Une production de la région qui fera entendre les mots de Valérie Mréjen, auteure contemporaine à découvrir.
Enfin…parce qu’un Printemps sans cirque manquerait de couleurs, n’oublions pas de citer "L’homme-Cirque" du prodigieux David Dimitri, "Fugue/Trampoline" de l’incontournable Yoann Bourgeois et "Circa" de l’incroyable compagnie Circa. Et n’allez pas penser que nous avons l’éloge facile, ces trois spectacles sont l’assurance absolue d’une soirée en direction des étoiles!
Le 21 juin, bien sûr, la Fête de la Musique sera organisée par Jérôme Pillement, une Carte Blanche des Folies lyriques qui enchante chaque année les badauds qui déambulent dans le magnifique Domaine d’Ô.
Un dernier mot pour UTOPIES, création 2018 de L'Autre Théâtre en compagnie de Béla Czuppon, qui prouve chaque année que la différence est une richesse et que la vie est un chant de possibles multiples à la poésie intrinsèque et indéniable à qui sait regarder...Un rendez-vous généreux et fort que l'on attend de pied ferme! ...et Martine Leroy présentera de son côté avec les stagiaires du Cirque Balthazar " Humain quand même?" , un rendez-vous annuel avec une jeunesse fougueuse et pleine de promesses!
Le Printemps des Comédiens est chaque année une parenthèse délicieuse où s’entremêlent joyeusement culture et convivialité, nourritures terrestres et intellectuelles dans un cadre où il fait bon se laisser aller à croire en l’été, en la puissance du verbe et de l’art. Même lorsque les textes et les oeuvres, en effet, évoquent des thématiques graves, préoccupantes et/ou dérangeantes, la magie des arts vivants est de réussir à faire évoluer cette réflexion salvatrice en une prise de conscience revigorante que l’humain est capable du meilleur. Ce Printemps 2018 sera, à n’en pas douter, grâce à Jean Varela et toute son équipe méritante et accueillante, une « Fête de l’Esprit et du Sensible » et une passerelle vers la « Légèreté » , au sens où l’entend Catherine Meurisse, dessinatrice de presse et auteure de bande dessinée française...et assurément, il y aura des surprises, des "oh", des "ah", des frissons, des rires et des larmes d'émotion...car "ça ne se passe jamais - exactement- comme prévu", comme nous le prouvera encore le brillant Tiago Rodrigues; c'est ça l'essence d'un Festival, un tremplin à la précision millimétrée qui offre un saut dans l'inconnu jubilatoire et vertigineux! Sautez Messieurs Dames! N'attendez pas!
Le Printemps des Comédiens
Domaine d’Ô
178 rue de la Carrièrasse
34097 MONTPELLIER Cedex 5
Tél. : 04.67.63.66.67
Du 1er au 30 juin 2018