Tendres fragments de Cornelia Sno, par la compagnie For Happy People & Co : quand un adolescent autiste nous fait entrer dans sa forteresse bien pleine...
- Écrit par : Virginie Gossart
Par Virginie Gossart - Lagrandeparade.fr/ Comment réussir à être "ordinaire" lorsqu'on ne l'est pas mais que l'on brûle d'entrer en communication avec l'autre ? C'est la question que pose le héros de ce spectacle sensible, subtil et poétique.
Arthur a 15 ans. Il aime la musique, en particulier celle du silence. Il est doué dans toutes sortes de domaines, mais comme il possède une autre forme d'intelligence, il peine à comprendre les autres et à communiquer avec eux. Dès l'ouverture, Xavier Guelfi incarne très bien cette difficulté en tournant le dos au public, et en actionnant une multitude d'appareils électroménagers bruyants, comme pour matérialiser cette barrière infranchissable entre soi et autrui.
Atteint du syndrome d’Asperger, Arthur ne perçoit ce qui l’entoure que par fragments. À cause de ce comportement atypique, il est exclu – et parfois maltraité - par ses camarades. Il ressent chaque chose avec plus d'intensité et plus d'acuité que ceux qu'il nomme les "neurotypiques".
Quand il tombe amoureux de Cornelia, nouvelle élève de sa classe, sa vie s’en trouve bouleversée. A la fois norvégienne et japonaise, la jeune fille est belle sans pour autant ressembler à qui que ce soit. L’amour d’Arthur pour Cornelia, son désir naissant et sa passion pour la musique le poussent alors à dépasser ses peurs, jusqu’à peut-être lui donner le courage de sortir de sa forteresse.
La pièce de Loo Hui Phang se veut d'abord un récit à hauteur d'enfant sur le thème de la différence. Si cette thématique est liée au parcours personnel de l'auteur, elle dépasse ici la question de l'exil géographique pour devenir une réflexion universelle sur le sentiment d'étrangeté dont tout individu a pu faire l'expérience au cours de son existence.
Aborder ce sujet dans un texte destiné aux enfants permet de s'interroger sur la construction du lien social. L’école, le collège et le lycée sont autant de microcosmes sociaux dans lesquels l’enfant et l’adolescent devront apprendre à s’intégrer. Bien souvent, l’apprentissage de cette intégration se fait par le mimétisme et l’assimilation inconsciente des codes sociaux. C'est ce que parvient si rapidement à faire Cornelia, et ce qui provoque l'admiration d'Arthur qui se sait lui-même incapable d'une telle faculté d'adaptation à la norme.
L'intelligence du texte et de sa mise en scène, c'est de nous mettre au contact de la pensée d'Arthur : en nous donnant accès à l'espace mental de l'adolescent, l'écriture et la scénographie traduisent avec finesse ce qui rend le jeune homme si particulier : une pensée fragmentée, un perfectionnisme qui peut tourner à l'obsession, une attention portée sur les détails, le besoin d'instaurer des rituels rassurants, une logique et une mémoire hors norme...
Les photographies disposées sur des câbles horizontaux sont autant de vues parcellaires sur le monde ; elles se muent parfois en mots qui, s'ils sont d'abord détachés les uns des autres et semblent ne rien signifier d'intelligible, finissent par former la magnifique injonction de John Cage à se libérer de ses chaînes : "Sortez de la cage où vous êtes, peu importe laquelle".
C'est cette cage qu'Arthur tente de briser pour aller à la rencontre de Cornelia Sno. Et il a plus d'une corde à son arc pour le faire : il a l'oreille absolue et sait composer de magnifiques mélodies répétitives, comme celles de John Cage, justement. Ou comme celle qu'il invente à la fin de la pièce et qui fait apparaître Cornelia... par magie. Il imite comme personne des voix qu'il enregistre sur son dictaphone (celle de son psychologue, celle du présentateur de France Musique, celle de la SNCF...). Il possède un humour rare, décalé et poétique, comme lorsqu'il mime les gestes de ce qu'il appelle la "comédie sociale", ou encore dans ce moment irréel où le chignon de Cornelia devient une petite montagne qu'Arthur entend bien gravir pour la rejoindre... C'est la force de ce spectacle : nous montrer les richesses que recèle le monde intérieur d'un autiste et nous inciter à faire un pas de côté pour le regarder autrement. La différence n'est alors plus montrée comme un manque ou un vide. Elle devient bien au contraire la marque du génie.
TENDRES FRAGMENTS DE CORNELIA SNO
COMPAGNIE FOR HAPPY PEOPLE & CO
TEXTE : LOO HUI PHANG
MISE EN SCÈNE : JEAN-FRANÇOIS AUGUSTE
AVEC XAVIER GUELFI, EMILIE AZOU
MUSIQUE : BARBARA CARLOTTI ET LOO HUI PHANG
LUMIÈRE, SCÉNOGRAPHIE ET COSTUMES : JEAN-FRANÇOIS AUGUSTE
DIFFUSION : CAROL GHIONDA
PRODUCTION : MORGANE ECHES
PRODUCTION : COMPAGNIE FOR HAPPY PEOPLE & CO.
COPRODUCTION : LA FERME DU BUISSON – SCÈNE NATIONALE DE MARNE LA VALLÉE / LA COMÉDIE DE CAEN – CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL DE NORMANDIE.
DURÉE 1H10
À PARTIR DE 9 ANS
Dates et lieux des représentations:
- Le MERCREDI 14 MARS 2018 à 18H - ODÉON - Théâtre de Nîmes ( 30)