La fille du collectionneur : une histoire sur l'absence
- Écrit par : Victor Waque
Par Victor Waqué - Lagrandeparade.fr/ « La fille du collectionneur » est un spectacle immersif. Il plonge le spectateur dans un univers parallèle dans lequel une femme cherche désespérément son père. Théo Mercier traite le difficile sujet de la relation à l'être perdu. Avec une mise en scène originale faite de jeux de lumières et d'objets mystérieux, le spectateur est envoûté.
Théo Mercier n'est pas un metteur en scène comme les autres. Il est artiste, sculpteur, plasticien. Après des études à l'école nationale supérieure de création industrielle (ENSCI) de Paris, il travaille avec le styliste allemand Berhard Willhelm ou encore l'artiste contemporain américain Matthew Barney. Nominé au prix Marcel Duchamp, certaines de ces œuvres ont déjà été acquises par le musée George Pompidou de Paris. Alors qu'il n'a que 33 ans, sa légitimité n'est plus à faire. Depuis 2013, il a exploré l'art vivant avec déjà deux pièces (« Du futur faisons table rase » et « Radio Vinci Park »). Les multiples facettes de Théo Mercier se retrouvent dans « La fille du collectionneur ».
Lorsque l'on entre dans la salle du théâtre « Humain trop humain » de Montpellier, une femme est déjà sur scène. Elle nous tourne le dos, observant un tableau. Un tableau surréaliste. Sur un fond bleuté, la lumière d'une éclipse baigne un paysage minimaliste. Sur le sol, un enchevêtrement de lignes noires. Une maison inhabitable ? Une œuvre d'art ? Une aire de jeux pour enfants ? Les thèmes représentés dans ce tableau réapparaîtront sous différentes formes. Encore et encore. Dans une danse obsessionnelle.
C'est l'histoire d'une femme qui ne parvient pas à quitter son père, décédé. Elle part à sa rencontre par les objets de collection qu'il a laissés derrière lui. Du mobilier de haute valeur à la boule noire décorative qui évoque l'éclipse du tableau, elle s'imprègne de ses objets. Pour s'approcher de l'être absent.
Il est omniprésent. Dans son esprit. Sur scène. Le visage grimé de blanc, il danse autour de ses objets de collection. Il effraye autant qu'il magnétise. Avec ses mimiques étranges. Ses gestes délicats. Son regard obsédant. Il susurre une question. « Do you love me » ? Sous une lumière violacée, cet homme n'est clairement pas comme les autres. Certainement fou. Au moins dérangé. Un collectionneur.
Plus tard, émerge sur scène un drapé blanc gigantesque qui recouvre des formes irrégulières. Les objets de collection abandonnés. A nouveau, la comédienne les sort du passé. Baise chaque objet de ses lèvres. S'y agrippe. En tirant sur les draps, deux personnages sortent de l'ombre. Deux facettes du père disparu. La fille adore le premier, qu'elle cajole. Elle réprimande constamment le second malgré toute sa bonne volonté. Les sentiments ambivalents d'une fille pour son père.
Sur le fond de scène, une grande peinture du visage paternel. Livide. Crispé. La fille perd la tête. Elle pleure de cette absence que ni les paroles, ni les objets ne ressuscitent. Si le souvenir de l'être perdu semble nous rapprocher de lui, « La fille du collectionneur » illustre à merveille le revers de la médaille. L'emprisonnement dans le passé.
Ce spectacle prend au corps. La mise en scène originale et le panache des comédiens absorbent autant qu'impressionnent. Avec sa voix naïve et aiguë, la femme joue à merveille l'enfant gentille et perdue. Le père est magistral. Danseur. Mime. Fou. Il fait de son corps un catalyseur de sensations pour le spectateur. On reste hypnotisé devant ses gestes légers, sa voix doucereuse. Devant son regard surtout. Celui d'un mort ?
Théo Mercier nous propose une pièce de théâtre marquante. Une histoire qui illustre à quel point l'absence peut être lourde à porter. Mais à l'image de cette femme qui, lors de la fin du spectacle, gravit le grand portrait de son père pour quitter la scène, l'espoir est permis. L'absence peut être surmontée.
LA FILLE DU COLLECTIONNEUR


Conception et mise en scène : Théo Mercier
Avec : François Chaignaud, Jonathan Drillet, Harris Gkekas, Angela Laurier, Marlène Saldana
Coscénographes, réalisations des tableaux et sculptures : Théo Mercier, Arthur Hoffner
Assistant à la mise en scène : Florent Jacob
Dessins et story boards : Jérémy Piningre
Musique : Laurent Durupt
Création lumière : Eric Soyer
Construction du décor : Atelier décor Nanterre-Amandiers
Production : Nanterre-Amandiers centre dramatique national
Coproduction : La Ménagerie de verre, Bonlieu Scène nationale Annecy, en cours • Avec le soutien de : la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme « New Settings »
Dates et lieux des représentations:
- Les 10 et 11 mars 2018 Ã HTH - CDN Montpelier ( 34) - Tel. +33 (0)4 67 99 25 00