Mademoiselle Julie : lutte des classes, guerre des sexes
- Écrit par : Imane Akalay
Par Imane Akalay - Lagrandeparade.fr/ Le drame se déroule dans la cuisine d’une maison bourgeoise dans la campagne suédoise, pendant la nuit de la Saint-Jean. Alors que Kristin la cuisinière (Sabrina Kouroughli) cuisine longuement ses rognons, en mode hyperréaliste – fumée incluse – à l’extérieur la célébration populaire du solstice d’été bat son plein. Apparaît Jean (Xavier Legrand), le valet et quasi-fiancé de Kristin, les bottes du maître à la main, asservi à ces bottes mais régnant en maître sur sa compagne. Dès la première scène, les rapports de force sont établis -- positionnement des classes sociales, symbolisé par lesdites bottes omniprésentes du début à la fin, inspirant respect et crainte à celui qui en a la charge ; domination masculine du valet se faisant servir par sa femme soumise.
Mademoiselle Julie (Anna Mouglalis), fille du maitre de céans, entre alors en scène, radieuse, extrêmement sensuelle, beaucoup plus femme fatale que jeune fille. Capricieuse, joueuse et parfois méprisante, elle provoque Jean pour l’assujettir, pas tant parce qu’il est son valet que par désir de domination des hommes. Une fois leur désir consommé, les rôles s’inversent, le valet y voyant une possibilité d’ascension sociale. A son mépris répond le mépris de Jean, empli de morgue, aussi sophistiqué qu’elle se veut simple. Dès lors les deux amants ennemis s’affrontent dans un duel à mort, jeu de séduction et de violence où chacun domine tour à tour. Elevée par sa mère dans la haine des hommes, Julie est une féministe radicale mais aussi une jeune femme un peu perdue. Elevée « comme un garçon » par un père aristocrate et une mère roturière, elle ne sait qui elle est vraiment. Et avant tout, elle ne veut appartenir à aucun carcan de classe ou de sexe. Drivé par la possibilité de sortir de son rôle de servant, peu enclin à courber l’échine, Jean se révèle impitoyable. Et pourtant est-il vraiment machiavélique, puisqu’à pousser Julie au point de non-retour il met à mal ses propres plans ? Le désir de détruire l’emporte-t-il sur le pragmatisme ?
Troisième personnage de ce triangle machiavélique, la cuisinière Kristin (Sabrina Kouroughli), femme austère engoncée dans des robes peu seyantes, raide et boutonnée, la démarche saccadée, la voix sèche, confite de bondieuseries, symbolise le vieux monde. Elle s’identifie pleinement à son rôle de servante de basse classe née pour servir ceux qu’elle estime assez supérieurs pour le mériter. Mais elle s’autorise des libertés. Alors que la fête villageoise bat son plein, seule dans sa cuisine, elle se caresse lascivement, allongée sur la table. Elle vole des bouteilles de bourgogne de la cave de son maître pour servir son fiancé. Indifférente au fait que Jean l’ait trompée, elle s’offusque que Julie la fille du Comte s’abaisse et s’abandonne dans les bras d’un homme de basse classe, et la condamne. Face au duo iconoclaste, elle est la gardienne de l’orthodoxie. Elle érige en honneur sa servilité. C’est son regard, jugement terrible qui plus que les provocations et sarcasmes de Jean condamne Mademoiselle Julie.
Par touches subtiles, le sang est omniprésent. Une pluie de ballons et de confetti rouges tombe en pluie et jonche le sol pendant la fête de la Saint-Jean. Les confetti se retrouveront sur les draps qui accueillent l’étreinte de Julie et Jean, symbolisant le sang de la défloration. Plus tard, le sang de la décapitation du serin sacrifié par Jean tâche les mains de Julie – ce sang qui symbolise la violence et préfigure l’issue tragique, sur fonds sonore battement de cœur angoissant. Et pourtant, Julie jamais ne se départit de son flegme ni ne semble gagnée par le désarroi. Le jeu d’Anna Mouglalis, très naturel, séducteur jusqu’à la fin, est déstabilisant. Son personnage semble dominer et s’amuser de la situation jusqu’au bout, comme si elle prévoyait de se suicider la tête haute. D’ailleurs, en finit-elle vraiment ? On a du mal à croire à une fin tragique, on imagine plutôt une jeune femme qui fait fi de l’honneur, des conventions sociales et de la morale et qui quitte la maison de son enfance le nez au vent, prête pour de nouvelles aventures.
MADEMOISELLE JULIE
August Strindberg
Traduction : Terje Sinding
Mise en scène : Gaëtan Vassart
Collaboration artistique : Sabrina Kouroughli
Scénographie:Camille Duchemin
Costumes: Stéphanie Coudert
Lumières : Franck Thévenon
Son : David Geffard
Avec : Anna Mouglalis, Xavier Legrand, Sabrina Kouroughli
Production : Comédie de Picardie
Coproduction (en cours) : Scène nationale d’Albi, Compagnie La Ronde de Nuit
Avec l’aide à la production de la Spedidam. Résidences de création à L’Odéon - Théâtre de l’Europe, la Ménagerie de Verre dans le cadre de StudioLab, et au Théâtre 13 à Paris. Remerciements au Théâtre du Nord.
Dates et lieux des représentations :
Avant-premières à Amiens (80) - Comédie de Picardie les 8, 9 et 10 février 2018