Guérisseur : mensonges, désespérance et misère morale dans une atmosphère de bout du monde
- Écrit par : Imane Akalay
Par Imane Akalay – Lagrandeparade.fr / Sur la scène dépouillée, ornée seulement d’une bannière vantant les talents du « fantastique » Frank Hardy et d’une douzaine de chaises vides comme dans une salle des fêtes miteuse au lendemain d’un événement, trois personnes racontent leur histoire. Il s’agit de la même histoire et pourtant elle présente de nombreuses contradictions dans la bouche des trois protagonistes. Tous mentent, ou disent leur vérité, celle qui les protège à leurs propres yeux ou les heurte le moins.
Tout autour d’eux semble fané, poussiéreux, misérable.
Frank Hardy, remarquablement joué par Xavier Gallais (en alternance avec Thomas Durand) promet de guérir les gens par l’imposition des mains et sillonne dans une vieille camionnette les villages d’Ecosse et du pays de Galles pour proposer ses services, flanqué de sa compagne Grace (Bérangère Gallot) et son impresario Teddy (Hervé Jouval). Le guérisseur se raconte, auto-centré et désabusé. Il s’est inventé un talent. Homme-ressource dont l’entreprise fait vivre ses comparses et redonne espoir aux souffreteux, il a le charisme nécessaire pour gagner son pain mais porte avec angoisse le poids de ses responsabilités – et celui du mensonge. Il doute de lui-même. Il se sait charlatan. Torturé, il noie sa solitude et sa souffrance dans le whiskey.
Dos voûté, pieds en dedans, sourire triste, sa compagne Grace, interprétée tout en délicatesse par Bérangère Gallot, se raconte, femme soumise et dépréciée en situation de dépendance affective et matérielle. Prête à toutes les disgrâces, elle en fait le constat : « je ne sais pas si je peux continuer s’il n’est pas là pour me faire exister. » Quant à Teddy, le fidèle, l’observateur externe du désamour et des drames, le doux bouffon chargé d’assurer la promotion de l’entreprise, l’amoureux secret de Grace, il est en fin de compte le plus humain et généreux de ces trois êtres désespérés. Le seul survivant, aussi.
En quatre monologues successifs, le récit monte en tension, sans en avoir l’air, et lentement progresse vers l’issue finale. Le guérisseur poursuivi par ses démons attend sa rédemption ; il avance inéluctablement vers la mort dont il décrit le scénario méticuleusement, avec une lenteur et une précision presque insupportables, comme pour mieux la savourer. Comme si son salut ne pouvait résider que dans le sacrifice de sa vie. Symboliquement, l’exilé errant retourne en Irlande, sa terre natale, pour y connaître sa fin.
La mise en scène épurée à l’extrême donne toute sa force au texte inspiré de la pièce "The faith healer" de Brian Friel, considéré comme le plus grand dramaturge irlandais de la seconde moitié du vingtième siècle. La traduction d’Alain Delahaye est poétique et poignante. Le texte traduit la misère morale de trois êtres perdus errant dans un monde de désespérance, dans une atmosphère de bout du monde, et n’est pas sans rappeler les ambiances des œuvres de Tchekhov. L’enfant mort-né évoqué avec pudeur et enterré dans un village tout au nord de l’Ecosse symbolise la perte de l’espoir et l’isolement d’une vie d’exil. L’enjeu thématique, la poésie du texte et la délicatesse du jeu des comédiens ne laissent personne indifférent.
Guérisseur
UNE PIÈCE DE BRIAN FRIEL
TEXTE FRANÇAIS D’ALAIN DELAHAYE
MISE EN SCÈNE : BENOÎT LAVIGNE
AVEC
XAVIER GALLAIS OU THOMAS DURAND, BÉRANGÈRE GALLOT,
HERVÉ JOUVAL
COLLABORATION ARTISTIQUE : SOPHIE MAYER
DÉCOR ET COSTUMES : TIM NORTHAM
MUSIQUES : MICHEL WINOGRADOFF
LUMIÈRES : DENIS KORANSKY
PRODUCTION : LUCERNAIRE
LES PIÈCES DE BRIAN FRIEL DANS LES TRADUCTIONS D’ALAIN DELAHAYE SONT REPRÉSENTÉES PAR L’AGENCE DRAMA - SUZANNE SARQUIER (WWW.DRAMAPARIS.COM) AGISSANT POUR LE COMPTE DE THE AGENCY (LONDON) LTD, 24 POTTERY LANE, LONDON W11 4LZ.
Durée : 1H25
Dates et lieux des représentations:
DU 31 JANVIER 2018 AU 14 AVRIL 2018, DU MARDI AU SAMEDI À 19H
au Théâtre du Lucernaire ( PARIS)