La voix humaine : rupture sur le fil
- Écrit par : Christian Kazandjian
Par Christian Kazandjian - Lagrandeparade.fr/ Avec "La voix humaine", Jean Cocteau explore les dédales des sentiments d’êtres confrontés à l’épreuve de la fin d’un amour.
Une femme. Seule dans la pénombre, un téléphone à l’oreille. Entre diverses coupures dues à des interférences sur la ligne –on est à l’époque où on passait par un standard et ses opératrices- elle parle à un homme, son homme. On comprend qu’il vient de la quitter. Une rupture comme tout le monde en a connue, comme Cocteau en a connue (pour lui, à l’heure d’écrire "La voix humaine" ce fut la plus brutale qui soit : la mort de l’être aimé, Raymond Radiguet en 1923).
La femme parle, d’une voix posée, caressante. On sent qu’elle n’accepte pas de couper les ponts ; espère-t-elle encore? Sans doute, comme toute personne abandonnée. Elle ment si nécessaire, pour ne pas brusquer l’autre, si loin désormais. Elle ment pour ne pas sombrer totalement aussi. Elle aime encore, donne du « chéri » à son interlocuteur, rappelle les moments agréables, les joies, le bonheur qu’il lui a procurés. A ses réponses, on sent que l’homme, si loin désormais, s’en tient à des considérations matérielles, triviales même (il souhaite récupérer rapidement ses effets, ses gants surtout). On le sent peu préoccupé par les êtres : la femme d’abord, au-delà des questions de convenance, s’inquiétant toutefois de sa tentative de suicide ; et du chien qui déprime, se montre agressif envers celle qui en hérite. Lui va au restaurant et s’apprête à partir en villégiature avec sa nouvelle conquête, dans les lieux mêmes où ils allaient avant, ajoutant à son insensibilité la goujaterie : à peine accepte-t-il de ne pas descendre dans « leur hôtel ». On l’aura compris : une rupture, même sous les faux atours du consentement, blesse toujours celui qui n’en est pas à l’origine.
La mise en scène, la lumière de Charles Gonzalès apportent un éclairage nouveau à une pièce créée en 1930 à la Comédie française, bien secondé par le jeu subtil et tout en nuances de Yannick Rocher. La voix off d’une femme, qu’on devine vieille, se teinte de colère, de désespoir, pendant négatif du calme feint affiché par la femme sur le plateau. Cette voix intérieure, elle, ne joue pas. Elle exprime une souffrance. Le petit film projeté sur les tentures met en scène une dame âgée, qu’on imagine être en réalité la femme au téléphone, plus jeune celle-ci. Cette trouvaille rajoute une autre dimension à la pièce : le drame de la vieillesse, étape qu’on imagine difficilement, loin de l’aimé. La musique, mêlant airs chantés pas la môme Piaf, et plus récents (Procol Harum) établit un pont entre les époques réaffirmant l’universalité du propos. Et les téléphones portables et autres Ipod n’y pourront rien changer.
Jean Cocteau, poète, romancier, peintre, cinéaste, dramaturge, pensait que de théâtre, il n’en existait qu’un et qu’il s’appuyait sur le texte. "La voix humaine", pièce qu’on pourrait qualifier de radiophonique, dans une mise en scène qui lui vaut d’être éligible aux Molières 2018, en est la preuve vivante.
La voix humaine de Jean Cocteau,
Mise en scène : Charles Gonzalès
Jeu : Yannick Rocher et Monique Dorsel
Dates et lieux des représentations:
- Jusqu'au 27 mars 2018 au Théâtre de la Contrescarpe, Paris 5e (01.42.01.81.88) les lundis et mardis à 19h30.