Terres closes : une parole dramatique et un chant de veilleur
- Écrit par : Catherine Verne
Par Catherine Verne - Lagrandeparade.fr/ Un spectacle digne qui sait délivrer son message sensible sans verser dans le pathos. Le ton du texte de Simon Grangeat est celui du constat plus que du réquisitoire, du "Il y a " plus que du "J'accuse", un constat d'une sècheresse accablante. Qu'y a-t-il donc? Une seule terre, quadrillée en territoires fermés à leurs frontières. Jetés au monde dans ce décor insensé, des hommes errant d'un point à un autre en quête de salut : les migrants clandestins. La pièce raconte leur déambulation hébétée, d'obstacle en obstacle, d'avancées en point de non-retour, de traversées en no man's land jusqu'au pied du mur. Crise identitaire, casse-tête administratif, violence de la lutte pour survivre, érection de murs partout dans le monde, l'état des lieux englobe l'intime comme le planétaire : en tutoyant l'étranger en exil, il interroge les contradictions du défi à vivre ensemble et du hobbesien "chacun contre chacun".
C'est une mise en scène rythmée qui donne relief et intensité dramatique à chacun des tableaux dynamiques appelés "chants". Les comédiens jouent une partition ici poétique, leur gestuelle parfois se faisant danse pour dire mieux que tout discours la rage muette des corps, la stupeur, l'effroi ou la confusion. Le ballet des tableaux s'enchaîne sur une scène aux lignes épurées, assez nue pour dire le dépouillement et la vulnérabilité des migrants, assez hérissée de dispositifs en tout genre pour signifier l'omniprésence du contrôle étatique sur l'individu: lumières, fumées, sons ne démarquent pas seulement la zone où se déploie la fiction, ils débordent le plateau scénique pour gagner les premiers rangs des spectateurs, les aveuglant d'un jet de torche ou les prenant en étau entre quatre voix. Ainsi, entre ces murs formés physiquement par les quatre comédiens comme pour mimer les quatre coins du globe, le public pris en tenaille sent bien ce que ça fait, qu'être concerné. Piliers ou garde-fous plus que des murs, voilà quatre porte-parole qui ouvrent l'esprit plus qu'ils ne le séquestrent. De quoi viennent-ils nous parler avec cette insistante présence scénique, ces jeunes comédiens encore enfants quand le premier des murs, à Berlin, est tombé? De l'espace, lieu du lien, qui est mobile en vérité, et de ses lignes qui sont des normes pouvant se déplacer: aux hommes de s'approprier le terrain de ce qui les rapproche contre ce qui les sépare. Quoi qu'il en soit, le temps de cette pièce engagée, jouée avec une justesse remarquablement sobre par les jeunes comédiens de la prometteuse Compagnie Les Petites Gens, une parole libre aura occupé la scène. Une parole dramatique et un chant de veilleur.
Terres closes
texte de Simon Grangeat
mise en scène Muriel Sapinho
Avec : Jean-Baptiste Epiard, Samuel Martin, Claire Olivier, Muriel Sapinho
Dates et lieux des représentations:
- Le 2 février 2018 au Théâtre Jacques Coeur - Lattes ( 34)
- Le 6 avril 2018 au Centre Culturel Jean Ferrat - Cabestany