Ceux qui restent : le témoignage d’une grande dignité de deux rescapés du ghetto de Varsovie
- Écrit par : Imane Akalay
Par Imane Akalay – Lagrandeparade.fr / La scénographie est d’un dépouillement extraordinaire : deux chaises, deux acteurs qui prennent tour à tour les rôles de l’historiographe et de l’interviewé. Un homme et une femme livrent avec une précision impressionnante le souvenir de leurs enfances respectives d’enfants juifs du ghetto de Varsovie. Du théâtre-documentaire où l’absence totale d’artifice donne sa pleine puissance au récit.
Enfants, les cousins Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson sont évacués du ghetto de Varsovie grâce aux réseaux de résistance dont font partie leurs parents. Quelques décennies plus tard, David Lescot recueille leurs témoignages.
Paul Felenbok avait sept ans lors du soulèvement du Ghetto de Varsovie en 1943 et de la mise à feu qui s’ensuivit. Il fut évacué avec ses parents en traversant le réseau d’égoûts de Varsovie et vécut dans diverses caches. Ses parents furent arrêtés et déportés, moururent en camps ; lui et son frère en réchappèrent. Après la guerre, ils furent placés dans une maison d’enfants à Andrésy en France. Là ils grandirent parmi d’autres enfants aux vécus similaires mais qui jamais n’en parlaient. Chacun gardait son secret. Paul devint astro-physicien.
Sa cousine Wlodka avait douze ans lorsqu’elle s’échappa du ghetto avec sa sœur jumelle en gravissant des échelles installées de part et d’autre du mur du ghetto. Sa mère, affiliée au Bund, demeura dans le ghetto mais leur rendit visite tous les soirs, en passant de l’autre côté du mur d’enceinte par le même moyen. Son père, lui, avait déjà quitté la Pologne pour l’Union Soviétique. Sa mère finit par être attrapée, déportée et assassinée. Après la guerre, Wlodka rejoignit son père établi à Londres, mais elle ne renoua jamais le lien affectif.
Les enfants devenus adultes d’âge mur racontent avec une précision implacable leur quotidien pendant l’occupation puis leur vie après la guerre. Le regard qu’ils portaient alors sur leur environnement étaient d’une lucidité surprenante compte tenu de leur jeune âge, leur compréhension de la situation était très adulte. Des années plus tard, la mémoire est restée vive, les questions posées sont très spécifiques et les interviewés se racontent sans pathos, avec une grande dignité, établissant même une distanciation avec leur passé, comme s’ils regardaient leur enfance à travers une caméra. La trame est serrée, le rythme soutenu, comme dans un scénario de film d’action. On retient son souffle, on halète, on tremble. Malgré tout le ton se fait presque léger parfois, lorsque les anecdotes le permettent.
Marie Desgranges et Antoine Mathieu ont un jeu d’une grande finesse ; elle se raconte avec un demi sourire parfois, comme si certains souvenirs lui procuraient une douce émotion ; lui utilise un vocabulaire informel, argotique de temps en temps, comme pour alléger son récit. Ils évoquent aussi l’envie « de ne pas savoir, de ne pas regarder en arrière ».
A la question finale, la réponse est terrible et d’une grande dignité : « nous avons eu une sorte de happy ending ». Et de conclure : « Oui, ça va, je vais bien ».
Une pièce pointue, d’une grande humanité.
Ceux qui restent
Auteur : Paul Felenbok, Wlodka Blit-Robertson
Artistes : Marie Desgranges, Antoine Mathieu
Metteur en scène : David Lescot
Dates et lieux des représentations :
- du 7 Novembre au 9 Décembre 2017 ( Mardi au Samedi à 19h00 ) au Théâtre Déjazet - PARIS 75003