Clair de femme : Désespoirs…des espoirs…
- Écrit par : Philippe Delhumeau
Par Philippe Delhumeau - Lagrandeparade.fr/ Il est des rencontres qui impriment l’instant présent d’une virgule déclinée au pluriel. Le masculin ne l’emporte pas toujours sur le féminin. Les émotions sont articulées par la force vive des mouvements de l’existence. Heureuses ou malheureuses sont les partitions interprétées par les oscillations du cœur. Raison et complicité, déraison et solitude, poésie et tragédie, musique et silence, d’étroites liaisons douces ou brutes qui écrivent les scenarii du seul(e)-en-scène traversé(e) chaque jour levé par les acteurs que sont les hommes et les femmes, les femmes et les hommes. La vie est et demeurera toujours un hymne à l’amour car l’amour est tel le tonneau des Danaïdes, il se remplit, se vide, se remplit, se vide… de choses impalpables que sont les pleins et les néants des sentiments.
Clair de femme, le roman de Romain Gary édité en 1977, adapté au cinéma par Costa-Gavras en 1979 avec Yves Montand et Romy Schneider, est pour la première fois traduit au théâtre par Alexandra Dadier. Isabelle Mérie et Laurent Schteiner sont les passagers du spleen d’une vie passée que chacun livre avec prudence. Les accompagnent par intervalles plus ou moins prolongés dans cette traversée semée de désespoir et d’espoir, Alessandra Puliafico, Diana Sakalauskaité et Guy Hassid. La scénographie se compose de trois fonds blancs qui se figent selon les doutes et les omissions, s’effacent sur les émotions libérées en point de suspension, apparaissent de nouveau sur les vérités qui pansent des cicatrices passées et présentes.
Un jour de pluie, une femme et un homme se bousculent, des excuses échangées à la hâte, des regards distants et pudiques qui en disent long sur le film de leur parcours respectif. Le destin trace à la craie blanche le chemin emprunté par l’anonymat du commun des vivants. Des vies parallèles qui finissent par se croiser un jour au hasard de l’existence. Une relation s’engage entre les deux personnages ; lui, Michel, est sur le point de partir pour Caracas, un exil pour oublier celle qu’il a profondément aimée et que la vie a séparée ; elle, Lydia, peine à respirer à poumons déployés l’air qui lui manque depuis que sa petite fille est morte dans un accident de la route. Lydia en veut à son ex-conjoint, conducteur du véhicule au moment des faits. Michel et Lydia sombrent dans un abysse qui les absorbe depuis que l’un et l’autre ont été marqués par des blessures indélébiles infligées par l’inattendu. Un homme, une femme, des fragments du présent déconstruits par le malheur, des soucis de partager une virgule de bonheur, des guillemets qui s’ouvrent sur la volonté de se confier et se referment aussitôt ou presque sur le huis-clos impénétrable de deux présences distinctes.
La mise en scène d’Alexandra Dadier, les chapitres d’un roman écrit sur le fil d’Ariane de deux destinées que rien ne prédestinait à faire se rencontrer. Et pourtant… Le style épuré et intimiste respecte la profondeur narrative de Romain Gary. Les mots révèlent une intensité qui ouvre le champ des possibles sur une narration évolutive des émotions, des dénis, des fractures et d’un amour envisagé.
Le travail d’Alexandra Dadier, la caméra tourne et embobine avec persuasion et subtilité les fragilités de Lydia et de Michel. Le spectacle restitue avec justesse ce que Gary noircissait sur la page blanche. Une mise en scène façon Lelouch, simple et humaine. La musique en fond, belle et prenante, est peut-être celle que Romain Gary aurait apprécié écouter le jour où Jean Seberg mit fin à ses jours en 1979.
Isabelle Mérie et Lydia ne font qu’une dans l’interprétation et dans le ressenti. L’expression du visage de la comédienne renvoie les émotions vécues de l’intérieur par son personnage. Elle libère avec conviction ce que les femmes donneraient pour retrouver, un enfant perdu, un amour échu. Un mot, excellente.
Laurent Schteiner rentre de corps dans le personnage de Michel en faisant fi du présent, mais en projetant les restes d’un amour disparu dans un temps qui ne lui appartient pas tout à fait. Le rôle est interprété avec la lenteur exigée dans la façon d’être et livrée en surimpression pour exister de nouveau. Une belle interprétation.
Alessandra Puliafico joue Laura, la femme que Michel aima plus que le cœur ne pouvait supporter. Une magnifique présence qui intervient en transparence dans les souvenirs de Michel.
Diana Sakalauskaité incarne la belle-mère de l’ex-conjoint de Lydia en manifestant une assurance et un entrain qui donnent joie à partager. Une agréable présence dans Clair de femme.
Guy Hassid est un fantasque Señor Galba, artiste de renommée internationale et fidèle en amitié à son vieux chien. Un comédien fort attachant.
Clair de femme, une très jolie pièce à découvrir au Guichet - Montparnasse.
Clair de femme, d’après le roman de Romain Gary
Adaptation et mise en scène Alexandra Dadier
Avec Guy Hassid, Isabelle Mérie, Alessandra Puliafico, Diana Sakalauskaité, Laurent Schteiner
- Du 19 mai au 2 juillet 2017 au Guichet – Montparnasse- 15 Rue du Maine, 75014 Paris