Assemblée : les noces pertinentes du vers hugolien et de la Compagnie provisoire
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Drame en cinq actes et en vers de Victor Hugo créé en 1831 au théâtre de la Porte-Saint-Martin, "Marion de Lorme" raconte l’amour malheureux d’une courtisane qui vécut sous le règne de Louis XIII. Follement éprise d’un certain Didier, simple soldat, elle décide de renoncer à ses amants fastueux parisiens et se retire à Blois en compagnie de cet homme qui ignore tout de son passé. Cependant le marquis Gaspard de Saverny, l'une de ses anciennes conquêtes, la retrouve et déclenche la jalousie maladive de Didier qui le provoque en duel. Or le cardinal de Richelieu avait fait signer au roi un décret interdisant les duels ; les deux rivaux, qui se sont battus sur la place publique, sont ainsi condamnés à l’échafaud. Saverny se fait passer pour mort et organise ses funérailles tandis que Didier, en fuite avec Marion, intègre une troupe de comédiens itinérants. Cependant tous deux sont bientôt découverts et arrêtés. Marion parvient à arracher au roi la grâce des deux condamnés mais les caprices des rois sont légendaires et l’arrêt est révoqué.
"Marion de Lorme" s'avère d'une modernité étonnante tant elle dresse le portrait d'une femme passionnante, bien plus brillante que les hommes qui l'entourent mais réduite à subir leur mépris de par sa nature de femme. Précisons en cela que Victor Hugo a complètement inventé cette intrigue et la personnalité de Marion dont l'Histoire, elle, ne semble avoir retenu que son charme, peut-être injustement. Pièce intemporelle du fait des questions existentielles et des combats qu'elle aborde : la lutte contre la peine de mort, cheval de bataille d'Hugo, la critique du pouvoir dans ce qu'elle peut avoir d'arbitraire et de déraisonné, le désir de rédemption des êtres humains et celui d'un idéal de pureté inaccessible et vain. Surprenant de "féminisme", déjà impertinent et pertinent, Victor Hugo montre ici l'inconséquence et la bêtise d'un roi influençable et l'aveuglement stupide d'un amant jaloux et prisonnier de soi-disants valeurs, qui refuse d'analyser l'abnégation nécessaire pour accomplir l'acte auquel se soumet Marion pour le sauver.
"Assemblée" est une adaptation - de qualité - de cette pièce de jeunesse - Victor Hugo a alors 29 ans - par la Compagnie provisoire. Pour impliquer le spectateur dans ce drame, a été choisi un dispositif bi-frontal pertinemment exploité. Et elle le sollicite de manière itérative, l'invitant même à boire un verre à l'entracte. A l'habitude de la compagnie, n'a été convoqué sur le plateau - qui n'en est d'ailleurs même pas un - QUE le théâtre. Aucun décor ni costume, juste quelques accessoires symboliques comme un pull attaché autour du cou pour mimer le manteau d'hermine. Gare à toi donc, spectateur, si tu as l'imagination en jachère! Ici c'est le mot qui peint les murs, vêt les personnages, tamise les scènes sentimentales et fait bruire de fureur les épées exaltées. La musique même s'invite en qualité de simple personnage. Les interprètes, complices, oscillent délicieusement entre retenue et cabotinage, avec une égale justesse et pour servir au mieux le verbe hugolien qui a tout autant besoin d'authenticité et de vibrante incarnation que de parenthèses de détente. Ensemble, ils nous jouent "Marion de Lorme" et nous plongent au XVIIème siècle mais ils insufflent aussi, en insérant d'autres textes du dramaturge-poète, un esprit, celui d'une liberté en marche, d'un humanisme frondeur, qui gronde et invite à se battre, encore et toujours, contre les inégalités et les injustices qui hantent les scènes du monde entier.
[bt_quote style="default" width="0" author="Victor Hugo, Actes et Paroles II, 'Pendant l'exil ( 1852-1870)' : 'Genève et la peine de mort', 17 novembre 1862 "]Gardons-nous des poètes. Il ferait beau de voir une société menée et une société conduite par Eschyle, Sophocle, Isaïe, Job, Pythagore, Pindare, Plaute, Lucrèce, Virgile, Juvénal, Dante, Cervantès, Shakespeare, Milton, Corneille, Molière et Voltaire. Ce serait à se tenir les côtes. Tous les hommes sérieux éclateraient de rire. [/bt_quote]
Assemblée
D’après Marion de Lorme, pièce en alexandrins et en cinq actes de Victor Hugo
Durée : 1h30
Adaptation et mise en scène : Julien Guill / Création musicale, oud : Olivier Privat

Avec : Camille Daloz, Dominique Léandri, Claude Maurice, Sébastien Portier, Fanny Rudelle
Production : la compagnie provisoire / Coproduction : Théâtre de l’Albarède - Ganges ; Conseil Départemental de l’Hérault ; Région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées
Dates et lieux des représentations:
- Du 31 mars au 2 avril 2017 au Théâtre Jean Vilar - Montpellier ( 34)
"Il est nécessaire de s'efforcer à rendre le spectateur actif."
Formé à la Comédie de Saint-Etienne et au C.N.R de Montpellier, Julien Guill a notamment joué sous la direction de Jean-Claude Fall, Marion Guerrero, Michel Arbatz, Eric Massé, Gilbert Désveaux, Mathias Beyler...Il a également mis en scène " Ce soir on improvise" d'après Luigi Pirandello et L'ogrelet de Suzanne Lebeau lors de cette dernière saison. Vif passionné de poésie, il est à l'initiative de nombreuses lectures ou déclamations poétiques et il initie régulièrement des élèves du second degré à la pratique des " commandos poétiques". Depuis 2007, il est le responsable artistique de la Compagnie Provisoire. Avec Fanny Rudelle, ils ont imaginé une performance autour des Feuilles d'Herbe" de W. Whitman où l'on est convié à un dîner durant lequel un homme prend la parole et son verbe, saisissant, nous invite à nous réaliser pleinement. En 2014, Julien Guill nous avait confié son parcours et sa vision du théâtre. Nous vous laissons en compagnie des mots inspirés de cet artiste montpelliérain que l’on vous incite à ECOUTER.
Pourriez-vous nous expliquer votre parcours théâtral?
Concrètement, j'ai débuté le théâtre au Lycée Mas de Tesse à Montpellier et poursuivi ma formation d'acteur d'abord au conservatoire de Montpellier dans les classes d'initiation puis ensuite à l'école de La Comédie de Saint-Etienne, à l'époque sous la direction de Prosper Diss et sous l'influence de Jean Dasté , un des grands acteurs de la décentralisation. Après ma formation, j'ai travaillé comme acteur avec plusieurs compagnies en région et hors région. Au fur à mesure de mon parcours, trois choses me sont apparues. Un très grand intérêt pour le travail de proximité, c'est à dire, des spectacles, comme Feuilles d'Herbe, avec une jauge réduite, au plus proche du spectateur. Un plaisir évident de transmettre ma passion pour le théâtre. Un désir de travailler sur des thématiques plus personnelles et d'entreprendre de créer mes propres projets. Ainsi, il y a maintenant sept ans, je suis devenu responsable artistique au sein de la Compagnie Provisoire, j'ai écrit le "manifeste pour un théâtre enragé", qui place l'interprète et son rapport au texte dramatique et/ou poétique au centre de l'acte théâtral et qui privilégie la mobilité d'action en se désencombrant au maximum de toutes les contraintes techniques liées aux lumières, au son, aux décors et aux costumes. Tout en poursuivant mon métier d'acteur, je me confronte à la mise en scène et crée un à deux spectacles par saison, toujours dans des jauges réduites et avec une équipe artistique qui se fidélise au fur à mesure des créations.
[bt_quote style="default" width="0"]Il est justement nécessaire de "ne pas jouer". Et cette problématique du "non-jeu" devrait, pour moi s'appliquer, au-delà des textes poétiques. Le jeu est l'ennemi. Il est une convention trop sécurisante entre les acteurs et le public. Il faut "être". Être sur scène avec tout l'inconnu, le vertige, les maladresses que cela comporte. [/bt_quote]
Vous aimez à porter sur scène des textes poétiques : vous qualifierez-vous plutôt de déclamateur, de récitant? Peut-on dire que l'on joue de la poésie à proprement parler?
Je choisirai le mot de récitant. C'est à dire de tenter de donner le texte. Il est justement nécessaire de "ne pas jouer". Et cette problématique du "non-jeu" devrait, pour moi s'appliquer, au-delà des textes poétiques. Le jeu est l'ennemi. Il est une convention trop sécurisante entre les acteurs et le public. Il faut "être". Être sur scène avec tout l'inconnu, le vertige, les maladresses que cela comporte. D'autant plus avec la poésie où il question d'une fragile traversée dans l'émotion et dans le langage. En tant qu'interprète, je suis pris, je navigue entre des émotions brutes et du langage brut. Le spectateur doit accepter parfois de s'y perdre pour y trouver du sens, il a un travail imaginaire à produire. Il est nécessaire de s'efforcer à rendre le spectateur actif.