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Vangelo : l'Evangile libertaire de Pippo Delbono

  • Écrit par : Julie Cadilhac

VangeloPar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Faire de l'anticléricalisme bête et méchant est à la portée de -presque- tout le monde. Et une démarche qui commence à manquer d'originalité dans le cadre artistique. Pourtant si le titre de Pippo Delbono a déjà les cornes menaçantes d'une vengeance en délirantes et dues règles théâtrales, son génie porte bien plus loin sa réflexion qu'une simple accusation provocatrice et blasphématoire.

La dégustation débute dès le prologue, étonnante - et délicieuse - comparaison de l'Eglise avec le Théâtre, où l'on ne se rend qu'apprêté, ces "lieux beaux, élégants mais si vieux, si morts" et dont la fréquentation sent davantage l'eau de cologne que les parfums de Lolita. "Mea culpa, Mea culpa, Mea culpa...". Et puis s'entrechoquent et se suivent ensuite des minutes tantôt délirantes - où la musique rock se déchaîne, où la salsa du démon du Splendid peut pâlir de jalousie tant les rats animés frétillent de joie sur le fond de scène, où des chorégraphies fantaisistes s'assortissent de costumes lucifériens aussi drôlatiques qu'inquiétants, des plaisanteries s'improvisent dans le jardin d'Eden " Eve, un pomme par jour éloigne le médecin!", tantôt graves : des séquences marquantes où la vidéo et/ou une voix off viennent témoigner de réalités avec une lumière crue ( l'évocation de l'assassinat de six immigrés Africains par la camorra, la déambulation à l'aveugle de l'acteur-narrateur dans un hôpital...), un tribunal de chaises en velours rouge aux atours de Ku Klux Klan siège pour condamner Jésus ou encore des déclamations de textes d'auteurs divers ( Pasolini, Saint-Augustin..) s'imposent - avec ou sans micro- que l'on écoute... religieusement. Souvent c'est le narrateur-acteur ( Pippo Delbono lui-même) qui lit des passages de l'Evangile, les commente et prend le public à témoin,  parfois un comédien vient clamer un texte choisi, souvent et délibérement repris de manière itérative, comme une incantation.

[bt_quote style="default" width="0"]Nous sommes des îles sur lesquelles l'amour fait naufrage. (...) Sans solitude, il n'y a pas de liberté.[/bt_quote]

De manière volontairement troublante, Pippo Delbono rend un hommage ici à sa mère extrêmement croyante, originaire de Ligurie "la région la plus bigote de l'Italie"( selon ses dires). S'il y a le refus d'adhérer à l'apparat catholique, si le fils affirme haut et fort sur la scène son athéisme, il revisite le récit de l'Evangile avec une sensibilité poignante. Plaidoyer pour un réveil des consciences, cette pièce utilise notamment le témoignage en chair et en os d'un "boat-people" syrien rescapé, pour évoquer la folie du monde tout autant qu'il appelle peut-être à lire l'Evangile davantage avec son coeur qu'avec son âme polluée par un lourd héritage; cette dernière étant en effet pétrie de culpabilité chrétienne immanente et d'une moralité soi-disant métaphysique et en réalité dictée par des êtres bien réels qui en usent pour mieux assujettir. Car lorsque l'on entend le "qu'est-ce que j'aime quand je T'aime ?" de Saint-Augustin ou la scène de la femme adultère amenée au Christ " Qui de vous n'a jamais commis de fautes jette la première pierre sur la femme adultère", c'est bien la question de l'interprétation que l'on fait des textes qui saute à l'oreille de chacun des spectateurs. A-t-on bien lu l'Evangile?

[bt_quote style="default" width="0"]"Seule la vérité nous rendra libres", disait ce Christ rebelle.[/bt_quote]

Pippo Delbono fait de ses propres expériences une matière de théâtre, une nouvelle parabole de l'Evangile. A lui son calvaire, le sida - qu'il a fallu - , la cécité - qu'il faut - combattre, la douleur psychologique face au constat d'un monde qui déraille et de l'individualisme contemporain dans lequel il s'inclut " Indifférent aux douleurs du monde. Tout à ma douleur." Dans le langage qu'il maîtrise à la perfection, c'est à dire la dramaturgie, il fait exulter l'absurdité du monde, toujours en contrepoint du plateau, sorte de coryphée au rôle éminemment politique. Pippo Delbono relève Jésus crucifié mais aussi Judas suicidé, gestes symboliques d'une humanité à la limpidité rassérénante des eaux du Jourdain.

[bt_quote style="default" width="0"]J'ai perdu mes rêves. Je refuse de perdre mes rêves.[/bt_quote]

Derrière Pippo Delbono, c'est une certaine idée du théâtre italien qui se transcende dans des scènes où se mêlent la spontanéïté du geste, le verbe haut, l'authenticité et la capacité à faire de tout du théâtre ! Les comédiens sont tous des personnages à part entière, pétris de singularité et de talent, la bande-sonore déménage autant qu'elle accompagne parfois la mélancolie du coeur, les costumes séduisent et la modernité perce dans un parterre contrasté d'images mémorables.

Au missel receleur d'interdictions et de tabous, l'artiste-démiurge oppose l'image d'un Christ hippie, anarchiste et rebelle, qui aurait pu faire chanter les coeurs et inviter à l'amour et à la tolérance. Et il nous plaît bien, à nous aussi, ce Christ révolutionnaire.

Lors de la rencontre qui a suivi la représentation à la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau, Pippo Delbono, en plaisantant, a refusé les questions qui viseraient à donner les clés de son "Vangelo", a affirmé sa volonté de ne pas faire un "théâtre cultivé", comprenez intellectuel et conceptuel, et a expliqué que cet art "doit être une rencontre entre gens différents" et qu'il "est avant tout une expérience". Le metteur-en-scène-auteur-interprète a rappelé également qu'il avait conçu ce spectacle pour sa mère, décédée il y a peu, et avec laquelle - malgré leurs divergences nombreuses - il s'était trouvé un point commun "l'humanité, le sens de l'autre"...Un moment de théâtral marquant...car terriblement intelligent et émouvant!

Vangelo

Spectacle en italien, 
surtitré en français
Un spectacle de 
Pippo Delbono
Images et film : 
Pippo Delbono
Musiques originales digitales pour orchestre et choeur polyphonique : 
Enzo Avitabile
Scénographie
: Claude Santerre
Costumes : 
Antonella Cannarozzi
Lumière
 : Fabio Sajiz
Traduction : 
Anita Rochedy
Réalisation décor et costumes
: Hrvatsko Narodno Kazalište-Zagreb
 
Avec
 Gianluca Ballarè
, Bobò, 
Margherita Clemente
, Pippo Delbono
, Ilaria Distante
, Simone Goggiano
, Mario Intruglio, 
Nelson Lariccia
, Gianni Parenti
, Dolly Albertin
, Pepe Robledo
, Grazia Spinella
, Zrinka Cvitesic
, Safi Zakria, 
Mirta Zecevic
Avec la participation dans le film des réfugiés du Centre d’accueil PIAM d’Asti

Dates et lieux des représentations :
- Le 18 mars 2017 à la Scène Nationale de Sète et du Bassin de Thau ( 34)

- Du mer. 03/05/17 au dim. 07/05/17 - Gènes - Teatro della Corte - Italie

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