Noces de sang : une adaptation audacieuse, pleine de fougue et de sensualité de la pièce de Lorca
- Écrit par : Sylvie Gagnère
Par Sylvie Gagnère - Lagrandeparade.fr/ La pièce de Garcia Lorca s’inspire d’un fait divers survenu en Andalousie, en 1928 : le jour de ses noces, la jeune mariée s’enfuit avec son ancien fiancé, poussés par une fièvre et une passion qu’ils n’ont pu, malgré tous leurs efforts, étouffer. Le marié les poursuit, guidé par la Lune et la Mort, et les deux hommes s’entretuent, laissant la jeune femme tachée de leur sang. Elle est prête à mourir de la main de la mère, dont le désespoir éclate à la mort de son dernier enfant. La malédiction du sang a encore frappé, après lui avoir enlevé son mari et un premier fils.
Le dramaturge, poète et musicien espagnol avait transcendé dans sa création le fait divers par une écriture fougueuse, l’irruption du fantastique et la poésie des mots.
Le pari de la jeune compagnie La Grue Blanche est particulièrement osé : donner à voir cette pièce, forte de 16 rôles, avec seulement 4 acteurs (musiciens, chanteurs), et quasi sans décors. Adapter l’œuvre de Lorca est en soi un défi, et si Carlos Saura s’en est honorablement tiré dans son film, c’est surtout Antonio Gades et Christina Hoyos, dans un ballet plein de fougue et de sensualité, qui en ont proposé une lecture envoûtante.
Ici, la mise en scène dépouillée, qui ose la gageure de faire vivre chaque personnage avec simplement quelques accessoires, accrochés aux rideaux et utilisés puis délaissés par les comédiens, s’avère formidablement juste. Le spectateur est embarqué sous la chaleur accablante de cette campagne andalouse, plongé au cœur d’une tragédie dont on sent bien dès les premières minutes l’inéluctabilité. La vengeance, l’amour, l’honneur, le code moral étriqué et par-dessus tout le rang social et l’argent sont les ingrédients d’un drame qui ne pourra s’achever que dans le sang et le désespoir.
Les chants ponctuent, accompagnent et soutiennent le texte, comme la clarinette et le violon, expressions des émotions qui étouffent et libèrent à la fois. Et surtout, la formidable idée, c’est d’utiliser le tango, cette danse née dans la misère des bas-fonds sordides d’Argentine, qui est avant tout un corps à corps, et un cœur à cœur. Sensuel, violent, en un jeu de pouvoir et de séduction sans cesse renouvelé, le tango se prête parfaitement à la situation. La scène du duel des deux hommes est à cet égard l’une des très belles réussites de la pièce.
Erwan Zamor et Romain Sandere, s’ils semblent avoir quelques hésitations en début de représentation, prennent très vite la mesure de leur rôle et émeuvent autant qu’ils glacent. Ils s’imposent finalement grâce à une présence physique et scénique réelle. Maiko Vuillod est un ton en dessous, manquant sans doute de cette flamboyance que l’on attend d’une femme que la passion embrase.
Toutefois, la grande force de ce spectacle, c’est sans conteste l’extraordinaire talent d’Hélène Hardouin, qui parvient à faire rire, pleurer, frémir le public. Elle éructe, elle murmure, elle chante, elle maudit, elle s’attendrit, toujours impeccablement juste, émouvante, burlesque, fragile parfois, forte souvent.
On ressort de la salle, sonné par ce que l’on vient de voir et d’entendre, porté par l’émotion et la maîtrise de cette jeune compagnie dont l’ambition est de « rendre la culture accessible à tous. De faire un théâtre populaire, mais exigeant, et de partir à la rencontre des publics. […] un théâtre réjouissant, rassembleur et porteur de sens ».
Ils peuvent être fiers aujourd’hui de cette production qui sert à merveille cette ambition !
Noces de sang, adaptation de la pièce de Federico Garcia Lorca, Compagnie La Grue Blanche

Mise en scène et adaptation du texte : Natalie Schaevers
Direction d’acteurs : Sandrine Briard
Coach chorégraphe : Patrice Meissirel

Avec Hélène Hardouin (la mère/la femme de Leonardo/la lune/chant), Erwan Zamor (le fiancé/clarinette), Maiko Vuillod (la fiancée/violon), Romain Sandère (Leonardo/le père/la voisine
Durée : 75 mn
Dates et lieux des représentations :
Jusqu’au 16 avril 2017, les jeudis à 19 h 30, samedis à 18 h et dimanches à 16 h 30 – à La Folie Théâtre, 75011 PARIS