Kindertotenlieder : des fantasmes à la réalité, un concept de Gisèle Vienne
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Le travail de Gisèle Vienne ne peut laisser indifférent. Atypique, il dérange autant qu'il questionne...et il mêle toujours rejet et fascination.
[bt_quote style="default" width="0" author="Gisèle Vienne"]Pour travailler la question du glissement de l'expression des fantasmes de la fiction à la réalité, j'ai souhaité m'attacher à un genre de spectacle spécifique, une tradition, celle, autrichienne, liée aux personnages des Perchten, qui aconnu des interprétations hasardeuses, voire des récupérations idéologiques. Les Perchten sont des personnages incarnant effroi et angoisses. Ils surgissent au début du mois de janvier, pour chasser les mauvais démons et s'emparer des âmes damnées afin de les punir. (....) Certains groupes de jeunes garçons , se revendiquant du courant musical du black metal, ont, particulièrement en Norvège, mêlé cet univers fantasmatique traditionnel à la réalité. Ils se sont livrés à des actes de vandalisme, imaginant par là-même s'inscrire dans la tradition germanique et scandinave. Leur confusion s'est exprimée dans la trasnposition de fantasmes, à leur origine mis en scène dans un rituel, à leur manifestation en dehors de ce cadre. En m'intéressant à la récupération et au détournement de cette tradition par ces adolescents confus, je pose la question du glissement du fantasme à la réalité et de la distinction entre fantasme et pensée rationnelle.[/bt_quote]
Sur le plateau, de la neige et des filles au visage de porcelaine et à l'expression insondable. Certaines encapuchonnées, les unes assises, d'autres debout et les épaules renfrognées. Toutes des poupées mais leur réalisme troublant déjà nous plonge dans la thématique de la lisière entre la fiction et la réalité. Brouillard et désolation. On flotte, hors du temps, en suspension. Au ralenti. L'immobilité saisit et glace, s'avère perturbante autant que le cercueil éventré sur la gauche. Peu à peu se construit une musique en live aussi prenante qu'étonnante. Notre cerveau génère un sentiment de malaise et s'interroge sur ce qui crée en lui cette sensation d'étrangeté. Planante, hypnotique, une chanteuse performeuse à la blancheur et blondeur nordiques, longtemps sans visage et ne nous montrant d'elle que son corps en transe, ses cheveux en rideaux devant ses yeux et ses bras qui s'agitent de manière incantatoire, obnubile l'arrière-scène. Trois autres performers masculins amènent des éléments à fantasmes : les Perchten aux masques de bois et aux vêtements de fourrure, les réactions violentes des jeunes garçons inspirés par ces traditions, et créent un contrepoint saisissant avec les marionnettes à taille humaine immobiles qui sont dispersées sur le plateau.
Gisèle Vienne instaure une scénographie et une mise en scène à l'orée des cauchemars. Tout flirte avec le surnaturel et en même temps concrétise la folie de certaines réactions, aiguise les regards. Un état d'esprit moribond, exhumation d'angoisses ou de pertes de repères, se matérialise de manière itérative dans un être agité qui assassine froidement. Voix chuchotantes. Gestes saccadés succédant à des mouvements enveloppants presque tendres. La violence exprimée ou contenue finit presque par être insupportable. Et le plateau qui se transforme reste étonnamment fascinant.
Un corps nu sous les flocons. Une assemblée silencieuse, recueillie. Une gueule d'ange. Une fille à la beauté glacée. Des possédés? A quoi assiste-t-on? Tout est en suspension dans la neige...même nos cauchemars.
Kindertotenlieder est un ballet morbide où le mal-être carnassier tourbillonne...Mélancolie existentielle sans issue où notre comportement politique est questionné, disséqué par le truchement des fantasmes collectifs.
KINDERTOTENLIEDER
Conception : Gisèle Vienne
Textes et dramaturgie : Dennis Cooper
Musique : KTL (Stephen O’Malley & Peter Rehberg) et “The Sinking Belle (Dead Sheep)” par Sunn O))) & Boris (monté par KTL)
Conception robots : Alexandre Vienne
Lumière : Patrick Riou
Création poupées : Raphaël Rubbens, Dorothéa Vienne-Pollak, Gisèle Vienne, assistés de Manuel Majastre
Création masques en bois : Max Kössler
Maquillage : Rebecca Flores
Coiffure des poupées : Yury Smirnov
Textes traduits de l’américain par Laurence Viallet
Avec l’aide de l’équipe technique du Quartz – Scène nationale de Brest :
Direction technique : Nicolas Minssen
Régie plateau : Christophe Le Bris
Régie son : Kenan Trévien
Création février 2007 / Festival « Les Antipodes » - Le Quartz, Brest – Durée : 1h15
Interprété et créé en collaboration avec : Jonathan Capdevielle, Margrét Sara Gudjónsdóttir, Elie Hay, Guillaume Marie, Anja Röttgerkamp ou Anne Mousselet
Découvert en décembre 2016 à HTH ( Montpellier)
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I Apologize : les noces d'Eros et Thanatos mises en scène par Gisèle Vienne
Tout est né d'un travail d'expérimentation autour de la rencontre entre la danse et les arts de la marionnette, le corps et l'objet. Gisèle Vienne fait le constat que, confrontés, l'humain a tendance se déshumaniser tandis que la marionnette s'humanise. De plus, elle réalise que " la poupée matérialise un antagonisme dramatique, celui d'un corps qui fait le lien entre l'érotisme et la mort." I Apologize montre donc trois humains, portés par leurs fantasmes, qui imaginent des mises en scène macabres ( reconstitution d'un accident?) avec des poupées à taille humaine. Si le concept est séduisant, le résultat n'enchante guère. Le rythme est terriblement lent et y sont accumulés de nombreux clichés du théâtre contemporain : la nudité gratuite, les allers-venues intempestives et sans but, les animalisations de l'humain ou encore les objets que l'on déplace sans cesse pour créer avec " rien" des scénographies renouvelées.
En voix Off, on entend, par vagues méditatives, Denis Cooper, auteur-phare du queercore ( mouvement culturel et social américain qui se rapproche du punk) lire en langue originale son œuvre , I Apologize (distribuée avec la traduction française en même temps que la feuille de salle ). D'une grande violence, ce texte poétique ne pourra faire l'unanimité ; on vous en cite un extrait au hasard : " I hug my friends until we're bruised. I won't hugging them, not if they scream at me to stop. Everything's a machine. Snort it. Everyone's a ride. I won't stop riding us until the barf backs up my throat". Le rapport du propos, on l'avoue, avec ce qui se déroule sur scène est d'une subtilité qui nous a dépassés: Jonathan Capdevielle - pour lequel l'on compatit durant toute la pièce tant il a un rôle à la fois ingrat et absurde - semble parfois être l'incarnation des mots énoncés : un être paumé qui, sous l'emprise de stupéfiants divers, peut s'adonner à des pratiques violentes.
Seule lueur esthétique? Les maquillages superbes de Rebecca Flores qui rendent les regards effrayants et la présence magnétique d'Anja Rottgerkamp qui offre une belle prestation acrobatique et dansée. Son corps est littéralement habité par la problématique choisie par Gisèle Vienne et l'œil du spectateur finit par ne regarder plus qu'elle. Quant à Jean-Luc Verna, à la plastique recouverte de tatouages et de piercings, s'il électrise forcément le plateau du fait de son apparence atypique, l'on en ressort avec l'impression d'avoir juste assisté à l'exhibition d'un corps ( telle qu'on pourrait la découvrir en boîte de nuit) là où l'on attendait d'une artiste une exploitation plus singulière.
I Apologize
Textes écrits et lus par Denis Cooper
Musique originale et en live: Peter Rehberg
Création des poupées: Raphaël Rubbens, Dorothea Vienne-Pollak, Gisèle Vienne
Maquillage: Rebecca Flores
Créé en collaboration avec, et interprèté par Jonathan Capdevielle, Anja Rottgerkamp, Jean-Luc Verna.
Photo (création 2004) : Mathilde Darel
Découvert le 3 décembre 2014 à hTh ( Montpellier).