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"Et même si je me perds" de Shiro Maeda : un objet théâtral non identifié qui nous plonge dans le cerveau d'une trentenaire de Tokyo.

  • Écrit par : Virginie Gossart

Et même si je me perdsPar Virginie Gossart - Lagrandeparade.fr/ Après "Le Tourbillon de l'amour" de Daisuke Miura, pièce aussi dérangeante que réjouissante et belle surprise de la saison 2013-2014, le théâtre de Nîmes approfondit notre découverte de la scène japonaise.

Il s'agit cette fois d'une pièce de Shiro Maeda intitulée "Maigoni Naru wa" ("Et même si je me perds..."). Comme son titre le laisse supposer, le spectateur se trouve confronté dès les premières scènes à un objet théâtral inclassable, qui par son caractère décousu, répétitif et pessimiste, semble prendre un malin plaisir à nous perdre et à nous questionner.
Présentant ses personnages comme des "évadés de la pression sociale", l'auteur et metteur en scène Shiro Maeda est réputé au Japon pour s'être approprié la technique du "dat-suryoku-kei", une manière de parler dépourvue d'énergie, chambre d'écho des valeurs et des modes de vie d'une génération désabusée, qui peine à trouver ses repères dans les grandes villes.
La pièce est construite autour de Michiru, jeune trentenaire indépendante qui a toujours vécu à Tokyo et dont le quotidien semble se dérouler sans problème matériel ni financier. A l'aube de sa nouvelle décennie, ses repères vacillent et elle s'interroge sur ce qui manque à son existence. Son imagination prend alors le dessus et nous nous trouvons plongés dans son inconscient, dans ses souvenirs, dans ses pensées intimes, sans trop savoir ce qui tient de la réalité ou du rêve. Au fil de ses rencontres imaginaires avec ses parents, une soeur qui n'a jamais réellement existé, son ancien petit ami, l'enfant qu'elle n'a pas encore eu, se dessine son mal-être, ses regrets et ses espoirs. Comme pour épouser le cours désordonné de ses pensées, la structure de la pièce est éclatée et volontiers répétitive, comme cette scène devant la Tour de Tokyo, sans cesse reproduite avec d'infimes variations dans le cours de la pièce.
Le décor est plutôt minimaliste : une corde, un lit "évolutif" (tantôt vrai lit, tantôt canapé, tantôt table d'examen médical) entouré de plusieurs rangées de chaises qui envahissent le reste de l'espace scénique. Ces chaises ne serviront d'ailleurs pas à grand-chose, objets inutiles et vains qui occupent pourtant toute la place. Première référence au théâtre de l'absurde. On pense très vite à Beckett, mais encore plus à Ionesco. Car les personnages parlent beaucoup, souvent de façon très monotone et redondante, et pour dire peu de choses, les mots se déroulant comme une mécanique enrayée et meublant (mal) le vide de leur existence. Cette première partie est d'ailleurs un peu longue, très statique, parfois même, il faut l'avouer, un peu ennuyeuse.
Mais tout à coup, la machine s'emballe et le spectateur assiste à un délire verbal et visuel aux accents surréalistes particulièrement drôles. La jupe de Michiru se transforme en un tournemain en rideau de séparation et nous devenons les témoins voyeurs et hilares d'une rocambolesque séance gynécologique en ombres chinoises qui se solde par l'exploration la plus improbable qui soit. On rit alors beaucoup et l'absurde, s'il est toujours présent, est assorti de la fantaisie la plus débridée.
La pièce offre aussi une intéressante réflexion sur le couple et sur la difficulté de se réaliser individuellement  lorsqu'on est deux, pris dans le confort et dans la monotonie de la vie urbaine et moderne. A la question de son ancien petit ami, "Et si on se perdait, si on ne faisait qu'un ?", la réponse de Michiru est sans appel : elle préfèrera se perdre seule et garder son indépendance, son individualité propre. Ce refus de se dissoudre dans le couple est une réflexion qui, si elle renvoie à un certain désenchantement de la jeunesse japonaise, n'en trouvera pas moins des résonances universelles.

Et même si je me perds…
De Shiro Maeda
Spectacle en japonais surtitré en français

Texte, mise en scène et dramaturgie : Shiro Maeda

Directeur technique : Hisataka Yamaguchi

Régisseur plateau : So Ozaki

Surtitrage et Tour Manager : Miwa Monden
Avec 
Saho Ito, Daisuke Kuroda, Takeshi Oyama, Asuka Goto et Junko Miyabe
Durée 1h40

Dates et lieux des représentations:

- Les 16 et 17 novembre 2016 - Odéon - Théâtre de Nîmes ( 30)

 

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