L'homme qui tua Don Quichotte : un seul-en-scène époustouflant de la Cie Premier Acte
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Si l'oeuvre de Cervantès est un monument incontournable de la littérature, tout le monde est loin de l'avoir lue du fait de sa densité. La première qualité de cette pièce est donc dans l'adaptation de Sarkis Tcheumlekdjian qui réussit à rendre d'une extrême fluidité et lisibilité l'histoire du chevalier à la triste figure. Les mots coulent avec naturel, charment par leur poésie, leur humour grinçant et leur sagesse et, par le truchement d'une mise en scène brillante, tout le génie de Cervantès éclate sur le plateau en compagnie de l'épatante Déborah Lamy et des notes sensibles et délicates de Serge Begout.
[bt_quote style="default" width="0"]N'abandonnons pas nos rêves car à chaque rêve que nous abandonnons, nous mourrons un peu.[/bt_quote]
Nous voilà partis sur les chemins en compagnie de l'Hidalgo Don Quichotte de la Manche, fier comme Artaban sur sa vieille monture Rossinante, et du naïf paysan Sancho Panza. Sur scène, l'actrice n'est entourée que d'une chaise et d'un livre (Le livre!). Non loin d'elle Gilbert Gandil accompagne de dissertations musicales aux cordes tantôt mélancoliques, tantôt aventurières la quête de cet illuminé attachant. La voix de Déborah Lamy, grave et enveloppante, permet une écoute agréable et sied à ses métamorphoses masculines. Elle incarne en effet le rôle du narrateur, de Sancho et de Don Quichotte tour à tour, les enchaîne même avec une aisance étonnante. Cette médaillée d'or de diction et de tragédie, formée à la commedia dell'arte, donne une leçon mémorable de théâtre classique. Par un simple retroussement de manches, des épaules rentrées, elle devient Sancho ; un visage qui s'allonge, un nez qui se retrousse sur des lunettes de vue et un corps qui se redresse et se raidit, c'est Don Quichotte qui est face à nous.
[bt_quote style="default" width="0"]Sa joie éclatait par tous les pores de son armure.[/bt_quote]
Voilà qu'il est l'heure soudain de combattre les moulins à vent, géants menaçants qui promettent l'opportunité d'un combat épique tel qu'en espère notre chevalier errant, de refuser d'écouter son serviteur désespéré qui s'époumone "Renoncer n'est pas fuir"...Une mise en garde qui n'empêche cependant pas au héros la bérézina face aux moutons et leurs bergers. Le chevalier n'en démord pas, sa vision était bien réelle mais il est victime d'"une machination de l'historien qui (les) observe."
"Il n'y avait pas moyen de s'y tromper..à moins d'avoir d'autres moulins dans la tête."
Du fait des extraits choisis, de l'ajout de projections vidéos d'un bel onirisme ( poussière d'étoiles, effets de lune, cratères sombres, une invitation de plus à pénétrer dans l'univers du rêveur patenté), des superbes costume et maquillage de la comédienne qui, avec les jeux de lumière, créent des effets de métamorphoses magnifiques, d'un pas de danse ou d'un chant flamenco, cette pièce transfigure le roman madrilène. Sarkis Tcheumlekdjian met en lumière de manière touchante les liens de complicité entre le chevalier et son écuyer et nous fait entendre combien ce roman ménage une réflexion passionnante sur la littérature. Si "L’Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche" est évidemment à la fois une parodie des mœurs médiévales et de l'idéal chevaleresque et une critique des structures sociales d'une société espagnole rigide et et par là -même considérée comme absurde, ici résonne surtout le pouvoir magique des histoires qui font voyager et autorisent à s'évader du quotidien. Si Don Quichotte est un chevalier fantoche aux faits d'armes risibles, il incarne un autre idéal : celui de ceux qui donnent dans leur vie à l'imagination la place qu'elle mérite, cultivent le fantasque et aiment l'idée de ne pas " savoir ( exactement) de quoi demain sera fait". Sancho est lucide sur son maître, pourtant il s'attache à cet homme qui empêche l'ennui de ronger les heures. Comment ne pas adhérer à cet être aux principes chevillés au corps qui fait l'apologie du livre? Ces livres, "les fauteurs de trouble" comme les nomme ironiquement le narrateur. Ceux qui empoisonnent d'idées extravagantes et de rêves ceux qui se risquent à les ouvrir...
On quitte cet hommage à l'oeuvre espagnole à regret car l'on était bien aux côtés de ces deux "incroyable(s) faiseur(s) d'histoires" que sont Miguel de Cervantes et son personnage éponyme...d'ailleurs, en sortant, beaucoup seront tentés de (re)lire le texte original pour le plaisir de replonger dans ce roman de chevalerie déjà moderne. Ajoutons que Sarkis Tcheumlekdjian a imaginé une conclusion aussi espiègle qu'inspirée dont nous tairons la nature pour vous laisser le plaisir de la surprise.
[bt_quote style="default" width="0"]Vous n'allez pas vous laisser abattre...On n'est pas en France ici.[/bt_quote]
Don Quichotte transpire d'authenticité, de fraternité et d'humanité. Tout comme le chevalier nomade, cette pièce est aujourd'hui en itinérance, Nouméa en Nouvelle-Calédonie l'a d'ailleurs accueillie il y a peu. Lors de la rencontre avec le public qui a suivi la représentation au Théâtre Jacques Coeur lattois, l'actrice a confié à propos de ses personnages: " Je les vois et j'ai l'impression que je leur donne voix. Comme un passeur." Elle a expliqué aussi que c'est une oeuvre qu'elle prisait et que le fait que ce soit une femme qui incarne tous les personnages laissait peut-être davantage de place à l'imagination du spectateur...et l'on acquiesce à cette affirmation.
L'homme qui tua Don Quichotte? Une adaptation talentueuse, des jeux de lumière poétiques, un accompagnement musical de qualité et une interprétation théâtrale magistrale!
L'homme qui tua Don Quichotte
Adaptation et mise en scène : Sarkis Tcheumlekdjian

Avec : Déborah Lamy, Gilbert Gandil

Costumes : Marie-Pierre Morel-Lab

Lumières : Stephen Vernay

Musiques : Gilbert Gandil
Durée : 1h10
Dates et lieux des représentations:
- Le 03/11/2016 au Théâtre Jacques Cœur - Lattes ( 34)
- Le 19/11/2016 au Théâtre de Boulogne sur mer
- Le 22/01/2017 au Festival Scènes rurales à Ussy s/ Marne
- Le 03/02/2017 au C.C Vincent Malandrin à Ponts de Cé
- Le 11/02/2017 à La soierie à Faverges
- Le 16/02/2017 au Théâtre de St Vallier à St Vallier
- le 17/03/2017 au Théâtre de Die
- Le 21/03/2017 au Théâtre de St Dizier
- Le 07/04/2017 Ã la MJC de Claix
- Le 21/04/2017 au Théâtre la Maison du Peuple à Pierre Bénites
Le site de la compagnie Premier Acte