Orphée aux Enfers : Amour, Humour et Féérie pour les folies d'O montpelliéraines
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ De l'"Orphée et Eurydice" d'Ovide où le jeune musicien, désespéré, charme le terrifiant Cerbère à trois têtes, affronte les Enfers et le dieu Pluton pour faire revenir dans le monde des vivants son amante, à la version d'Offenbach, l'irrévérence et le libertinage se sont invités. Ici Orphée, marié à Eurydice, est épris d'une nymphe tandis que son épouse batifole dans les prés à la recherche d'un beau berger...et lorsqu'elle est mordue par un serpent, il apprécierait à sa juste valeur le veuvage si l'Opinion Publique ne l'obligeait pas à aller la récupérer. Et ce n'est pas simple - en plus! - car, après avoir été enfermée dans le boudoir de Pluton, Eurydice s'enfuit avec Jupiter, venu convoler et la libérer sous l'apparence d'une mouche dorée...et lorsque le mari, de mauvais gré, la retrouve enfin, le Dieu des dieux s'arrange pour faire tonner un éclair et surprendre l'époux qui se retourne et condamne définitivement sa femme à trinquer en compagnie de son amant divin!
Pour sa dixième édition, les Folies d'O présente ce délicieux "Orphée aux Enfers" pour une soirée sous le signe de l'amour, de la pétillance et de la musique bien sûr! Jérôme Pillement, fondateur du festival dont il est le directeur artistique et musical, et Ted Huffman, metteur en scène américain, se sont prêtés au jeu de l'interview pour nous en apprendre davantage sur la genèse du projet, les spécifités de l'oeuvre et les choix artistiques de cette "Folie" montpelliéraine.
Jérôme Pillement : Direction Musicale
Pourriez-vous nous raconter la genèse du projet "Orphée aux Enfers" avec Ted Huffman? Est-ce votre première collaboration commune?
Nous avons décidé avec Laurent Spielmann, directeur de l’Opéra de Nancy, et Jean-Paul Davois, directeur de l’Opéra d’Angers Nantes, de coproduire une nouvelle production d’Orphée aux Enfers. Cette mise en commun des moyens nous a permis de présenter au public ce nouveau concept de l’œuvre, qui se déroule dans le hall d’un grand hôtel, lieu de rencontre entre les humains et les Dieux… Je ne connaissais pas Ted Huffman avant la présentation de ce projet qui nous a séduits. J’ai eu par la suite l’occasion de rencontrer son travail au Festival d’Aix en Provence.
Cet opéra-bouffe est un tournant dans la carrière d'Offenbach. Qu'est-ce qui en a fait, selon vous, son succès? Le fait de traiter avec impertinence un récit classique de l'Antiquité? La dynamique de ses partitions?
Lorsqu’Offenbach s’attaque à la partition d’Orphée aux Enfers, il est déjà célèbre, à Paris et en Europe. Il décide alors, sur un livret toujours impertinent et sarcastique, de s’attaquer à la société dans laquelle il vit en comparant les politiques aux Dieux de l’Olympe, ce qui lui permet de contourner la censure. L’originalité de cette partition est qu’Offenbach s’éloigne de la pitrerie musicale pour attaquer un nouveau style qu’il jugera lui-même plus féérique. En effet, la musique d’Offenbach ne singe pas le comique de la pièce mais propose une écriture plus lyrique et plus poétique. Ce style annonce très clairement Les Contes d’Hoffmann.
[bt_quote style="default" width="0"]Lorsqu’Offenbach s’attaque à la partition d’Orphée aux Enfers, il est déjà célèbre, à Paris et en Europe. Il décide alors, sur un livret toujours impertinent et sarcastique, de s’attaquer à la société dans laquelle il vit en comparant les politiques aux Dieux de l’Olympe, ce qui lui permet de contourner la censure. L’originalité de cette partition est qu’Offenbach s’éloigne de la pitrerie musicale pour attaquer un nouveau style qu’il jugera lui-même plus féérique.[/bt_quote]
Vous avez choisi de mêler les deux versions qu'Offenbach a imaginées d'Orphée aux Enfers. Pourquoi ne pas avoir choisi de représenter simplement la seconde? Comment les avez-vous entremêlées?
Offenbach avait pour habitude de remanier ses œuvres régulièrement. Si effectivement la version en 4 actes de 1874 (la plus longue) est la dernière et la plus aboutie des versions qu’Offenbach a composées, celle-ci nous a paru trop longue pour le public d’aujourd’hui, avec énormément de redites, et un équilibre qui nous paraît aujourd’hui avec le recul un peu redondant. L’équilibre souhaité par le metteur en scène pour la dramaturgie, avec l’emploi de quelques chœurs et quelques airs de la dernière version, nous a paru plus adapté aujourd’hui.
A la fin du XIXème siècle, cet "Orphée" passe les frontières et finit par incarner l'esprit français que l'on imagine irrévérencieux, sarcastique et gouailleur...Cela s'exprime-t-il ( ou peut-il s'exprimer encore) dans votre création? Dans quelle mesure avez-vous, dans votre travail, tenté d'être vous aussi dans cet "esprit français"?
En ce qui concerne la musique, l’esprit français d’Offenbach rend hommage aux compositeurs contemporains de son époque, qui ont fait la gloire de l’opéra en France : Bizet, Gounod, Rossini, Donizetti… Mais aussi, ce qui est plus rare, Mozart, Rameau, Lully, ou Gluck qu’il cite même musicalement.
Nous avons porté notre attention sur le style de ces compositeurs cités, auxquels Offenbach rend hommage, puisqu’ils résument deux siècles de la musique française.
Le côté sarcastique et cynique des livrets n’est pas forcément plagié par la musique, qui, elle, donne une proposition plus féérique, plus fantastique, que l’on retrouvera plus tard chez Fauré et Saint-Saëns par exemple (par exemple, 2ème air d’Eurydice, La Mort m’apparaît souriante).
Enfin...Comment s'est porté votre choix sur Sébastien Droy ( qui interprète Orphée) et Alexandra Hewson ( Eurydice)?
Le choix des artistes en général s’est fait sur leur capacité à justement épouser les différents styles abordés par Offenbach.
Sébastien Droy est réputé, entre autres, pour son travail sur Mozart, les Dieux de l’Olympe sont des voix plus lyriques.
Doris Lamprecht dans le rôle de L’Opinion publique, est un grand mezzo de caractère, Alexandra Hewson représente la soprano lyrique colorature nécessaire au répertoire lyrique léger du XIXème siècle.
Finalement nous nous refusons à distribuer des artistes étiquetés « opérette ». Tous les artistes sur scène pour cette production sont aussi souvent engagés dans d’autres répertoires ce qui fait la richesse vocale du plateau.
Ted Huffman : Mise en scène
Qu'est-ce qui vous a séduit dans cet opéra-bouffe? Etait-ce votre première rencontre sur le plateau avec Offenbach?
J'adore l'énergie de l'opérette - ce monde hyper-réel fait de musique et de mouvement. Ce spectacle, Orphée, en particulier, a une matière musicale extraordinaire, ainsi qu'un message très contemporain à propos de l'hypocrisie quand il s'agit de juger les décisions amoureuses des autres.
Du récit d'Ovide dans les Métamorphoses aux deux versions d'Offenbach, quelles sont les différences essentielles? Quelle vision souhaitiez-vous donner de ce couple mythique?
Offenbach plaisante essentiellement avec la notion même de monogamie, en utilisant le mythe classique de Orphée et Eurydice pour illustrer son point de vue parce que ce couple est étroitement associé à l'idée de fidélité. Pas un seul caractère dans cet opéra, à l'exception du «chœur grec» incarné par L'opinion publique, croit ou pratique la monogamie. C'est assez radical et cela est idéal pour créer une bonne comédie.
[bt_quote style="default" width="0"]Offenbach is essentially poking fun at the entire notion of monogamy and using the classic myth of Orphee and Eurydice to illustrate his point because these characters are so closely associated with the idea of fidelity. Not one single character in this opera, except for the "greek chorus" embodied by L'opinion publique, believes in or practices monogamy. That is pretty radical; and also makes for some good comedy.[/bt_quote]
Dans "Orphée aux Enfers", on passe de la terre à l'Olympe puis aux Enfers. Comment avez-vous choisi de surmonter ces contraintes de lieux?
Nous avons développé un monde qui se ressemble beaucoup d'un acte à l'autre. Cela fonctionne avec Offenbach pour lequel, en fait, les habitants de la terre, de l'Olympe et des enfers ne sont pas réellement si différents.
Pour le public de l'époque, des clins d'oeil aux personnages et évènements d'alors étaient présents...Les avez-vous adaptés à notre monde contemporain? Qui peut-on voir, par exemple, dans la figure de Jupiter ou encore de Junon?
Notre version du livret fait référence à certains événements contemporains. Pour sûr, les dieux sont là pour représenter les décideurs du monde - le 0,1%, si l'on veut - mais nous les avons aussi dépeints avec des costumes assez généraux de sorte qu'ils ne peuvent pas être confondus avec quelqu'un en particulier.
Enfin, dans quelle mesure le genre de l'opéra-bouffe a -t-il influencé votre direction d'acteurs et vos choix de mise en scène?
Tout, dans ce spectacle, est axé sur l'idée de l'opéra-bouffe, un genre qui nous pousse à regarder bien au-delà de notre monde "réaliste" pour que nous puissions avoir une vision sur nous-mêmes. Nous avons fait un monde qui est très stylisé et exagéré, mais nous espérons que dans l'exagération, l'on perçoive et trouve l'humanité....
Orphée aux Enfers - Offenbach
Opéra bouffe en 2 actes et 4 tableaux
Livret de Hector Crémieux et Ludovic Halévy
Direction musicale: Jérôme Pillement
Mise en scène: Ted Huffman
Décors, Costumes & Lumières: Clement & Sanôu
Chorégraphie: Yara Travieso
Adaptation du livret: Alain Perroux
Orphée: Sébastien Droy
Eurydice: Alexandra Hewson
Jupiter: Franck Leguérinel
L’Opinion publique: Doris Lamprecht
John Styx: Yves Coudray
Cupidon: Jennifer Courcier
Aristée/Pluton: Loïc Félix
Vénus: Marie Kalinine
Diane: Anaïs Constans
Junon: Lisa Barthélémy
Mercure: Samy Camps
Minerve: Marie Sénié
Chœur de l'Opéra national Montpellier Languedoc-Roussillon
Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon
Photo Jérôme Pillement : ©Guy Rieutort
Dates:
- Les 2,3 et 5 juillet 2016 à l'Amphithéâtre du Domaine d'Ô - Montpellier