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L'Histoire du soldat par M.Fryklund et A.Ollé: une performance théâtrale convaincante, un orchestre incisif, une mise en scène qui questionne

  • Écrit par : Dominique Flacard

histoire du soldatPar Dominique Flacard - Lagrandeparade.com/ Ce mélodrame composé entre 1917 et 1918 marque l'extrême limite du dépouillement, conséquence des circonstances extérieures, et correspond, chez Stravinsky, à une recherche esthétique de clarté, de concision. Réfugié en Suisse, il décide de composer pour des spectacles de tréteaux ambulants qui seront donnés dans différentes villes et même petits villages. En collaboration avec Charles Ferdinand Ramuz, qui remanie librement le texte d'un conte russe d'Afanassiev, il élabore la partition pour une petite formation comprenant sept instruments, aux tessitures extrêmes, dont deux, un grave et un aigu, sont issus d'une même famille  : la clarinette et le basson, le violon et la contrebasse, le cornet à piston et le trombone, ainsi que la percussion. Les écarts de tessiture entre les instruments donnent un éclairage musical brut, et apportent une sorte de lucidité au discours musical. La partition est marquée par un jeu d'irrégularité et de régularité caractéristique de la rythmique de Stravinsky. Une opposition similaire se retrouve dans l'écriture de Ferdinand Ramuz qui joue avec les répétitions, la prose rythmée et les rimes. Trois rôles parlés joués, habituellement par trois comédiens différents constituent la trame de ce théâtre musical.

Un soldat marche et rentre chez lui; alors qu'il se repose au bord de l'eau apparaît un homme qui lui propose un livre en échange de son violon. Il se laisse séduire par cette proposition. Mais alors qu'il devient riche et puissant, tout va de mal en pis. Sa mère, sa fiancée ne le reconnaissent pas et se détournent de lui. Il veut récupérer son violon mais le Diable, car c'est bien de lui dont il s'agit, n'entend pas lui rendre son âme !

Alex Ollé, le metteur en scène, revisite ce conte musical en l'inscrivant dans l'actualité. Il conçoit une dramaturgie qui nous présente les séquelles physiques et psychologiques d'un soldat après la guerre. Nous sommes plongés dans un univers réaliste, concret où les détails triviaux participent à la distanciation. La scène est séparée en deux dans le sens de la largeur par un mur blanc devant lequel nous voyons trois chirurgiens s'activer, dans un bloc opératoire autour d'un malade, à qui ils retirent un corps étranger : un petit violon. L'orchestre, présent sur scène, ainsi que le souhaitait le compositeur,dirigé par Magnus Fryklund, est surélevé en arrière-plan. Il intervient entre les dialogues et la narration pour commenter, annoncer, ironiser, souligner avec des éléments issus de la musique populaire évoquant, parfois, la musique de cirque. Le violon à la sonorité âpre, rude comme celle d'un musicien de rue et non celle d'un violoniste post-romantique incarne le soldat, son âme. La sonorité du cornet à piston évoque tantôt la garnison tantôt le cirque. La percussion, associée au diable, termine l'oeuvre, comme si la mélodie et le rythme n'existaient plus. Un film, réalisé par Emmanuel Carlier, est projeté sur ce mur, un peu à la manière d'un journal télévisé. Un soldat apparaît au loin sur des terres sans couleur, dévastées par la guerre. Il marche, se rapproche et ouvre une porte jaillissant sur scène.
Sébastien Dutrieux incarne les trois protagonistes : le soldat, le diable qui est en lui et le narrateur qui commente cette dualité. Sa voix module, change de timbre, de registre, de nuance. Vêtu d'un treillis militaire, il campe un soldat actuel, qui ne peut oublier la guerre et les cruautés qu'il y a vécues. Ses souvenirs sont projetés sur le mur blanc et inondent le spectateur. La violence de son tourment est sous-tendue par les dissonances musicales, les écarts de tessiture entre les instruments. La musique de cirque accentue l'aspect grotesque de sa douleur. L'ajout de bruitages d'une chambre d'hôpital amplifie l'aspect inhumain de ce lieu où le temps est mesuré. Les éclairages violents qui passent du rouge sang au jaune lumineux puis au vert cadavérique annoncent la mort du soldat qui termine ce spectacle.

Une performance théâtrale convaincante, un orchestre incisif, une mise en scène qui questionne! L'histoire du soldat, oeuvre considérée comme une ouverture vers la modernité en 1917, n'a pas pris une ride !

L’Histoire du Soldat
Igor Stravinsky (1882-1971)
Mimodrame - Théâtre musical
Livret de Charles Ferdinand Ramuz
Création le 28 septembre 1918 à Lausanne
Direction musicale : Magnus Fryklund
Mise en scène : Àlex Ollé / La Fura dels Baus
Reprise de la mise en scène : Jean-Michel Criqui
Décors et costumes : Lluc Castells
Vidéo : Emmanuel Carlier
Lumières : Elena Gui et Urs Schönebaum
Son : Josep Sanou
Dramaturgie : Valentina Carrasco, Ramon Simo, Àlex Ollé et Julia Canosa
Narrateur, lecteur, soldat, diable : Sébastien Dutrieux
Orchestre national Montpellier Occitanie

Dates et lieux des représentations:
Les 24 et 25 mai 2019 à l’Opéra-Comédie -Saison de l’Opéra Orchestre National de Montpellier


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