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Pascal Maurin : "Les festivals de musique électro se résument trop souvent à une soirée dans un club avec des DJs "

  • Écrit par : Bruno Paternot

Dernier CriPar Bruno Paternot - Lagrandeparade.fr/ Figure majeure de la musique électro française, Pascal Maurin fait partie des créateurs de Tohu Bohu, branche électro du festival de Montpellier et de Radio France. Outre cette programmation estivale depuis 2001, il mixe et propose cette année le Festival Dernier Cri à Montpellier. Accompagné par Luca Ruiz et Edith Rolland, le trio souhaite impulser un autre souffle aux nuits montpelliéraines. Rendez-vous du 10 au 15 Novembre 2015 pour voir, et surtout entendre, de quoi il s'agit.

Quel est le projet de ce tout nouveau festival ? Quel fut le premier souffle de Dernier Cri ?
L'envie. Je me suis toujours dit qu'à Montpellier, il n'y avait pas de festival de ce type-là. Il y a toujours eu des festivals qui proposaient des soirées, des concerts... mais jamais il n'y avait eu d’événements liés aux musiques électros avec conférences et projections. Vu ce qu'on suppose, ce qui ressort de la communication qu'on fait sur les réseaux sociaux, il y a une vraie attente de discours sur la culture techno et électro. Il y a suffisamment de matière, il y a de la réflexion qui a été posée, pas mal de livres... On a vraiment aujourd’hui pas mal de gens qui se sont posés des questions sur les origines de cette musique, sur ce qu'elle est aujourd'hui, sur ce qu'elle décrit, sur ce qu'elle dit de notre époque.

Il y a aussi les soirées. Quelle est la ligne directrice ?
Évidemment les soirées sont quand-même là, elle sont importantes. La ligne directrice vise à proposer des artistes innovants. C'est le cas de Low Jack par exemple, qui amène un son nouveau. Venant de l’extérieur, j'ai toujours considéré que c'était une attente des montpelliérains. Personne ne le faisait, à chaque fois que j'en parlais, personne n'a su me dire pourquoi on n'avait pas Les Nuits Sonores de Montpellier*. Je me suis dit : « on va essayer de le faire nous-même ! ». J'en ai parlé à Luca Riuz et à Edith Rolland et on a foncé. Luca fait partie de la nouvelle génération de promoteurs de la musique électro de Montpellier, plus en lien avec les jeunes. Moi je suis un ancien et Édith, qui est là depuis le début de l'électro à Montpellier est une ancêtre ! (rires) Elle apporte sa connaissance du projet, des réseaux. Ça fait une belle équipe à trois générations. Cette année c'est une année zéro et on voit si les élus et les responsables de la culture à Montpellier sont preneurs de ce type de projet pour le faire perdurer.

Cette multiplicité des regards sur un même style, c'est ce qui fait votre spécificité ?
Les festivals de musique électro se résument trop souvent à une soirée dans un club avec des DJs. C'est toujours la même chose, on avait vraiment envie de faire quelque chose de nouveau. A terme, à Montpellier, on a envie de mettre des projections, des rencontres, des expos, des master-class sur plusieurs jours. Nos partenaires actuels sont super ouverts et enthousiastes et il y a d'autres lieux, d'autres collaborations possibles. Sur les master-class, il y a beaucoup de demandes et il n'y a pas assez d'offres ou de formations. On voudrait inviter les artistes à faire des formations l’après-midi puis à se produire le soir.

Pourquoi avoir choisi ses dates-là ?
On aime bien l'idée de novembre, c'est un moment où il ne se passe pas grand chose. Il y a énormément d’événements qui ont lieu à Halloween mais rien après. Et c'est un moment où les gens sont plus enclins à venir à l’intérieur. Quand on propose des conférences l'été, c'est plus compliqué...

Quel constat faites-vous de la scène électro montpellieraine aujourd'hui ?
C'est le constat qu'il ne se passe plus grand chose en musiques actuelles à Montpellier. Il y a des promoteurs qui proposent des choses intéressantes mais ça s'est peu à peu replié sur soi-même. On en parlera sur le débat animé par Olivier Pernot le 12 novembre mais je trouve que tout ne va pas bien. Montpellier n'est pas une capitale de la scène électro. I love techno, par exemple, ce n'est pas un événement structurant à l'année. Il n'y a pas de dynamique. Il n'y a pas d'artistes ou de producteurs qui viennent de Montpellier. Il y a de bons DJs mais je serais incapable de citer cinq artistes montpelliérains... Avec La Tribu des Pingouins et Boréalis**, se développait tout un réseau : des graphistes, des danseurs, des journalistes, des DJs qui faisaient de la vie. Ça revient un peu, tout de même, depuis 2 ou 3 ans, il y a des promoteurs qui redonnent un élan à Montpellier. Ils remettent la ville au centre du jeu.

Est-ce qu'il ne manque pas une scène underground à Montpellier, comme il peut y en avoir à Bordeaux ou Toulouse, sans parler de Marseille, Lyon et Paris ?
Tout dépend de ce qu'on entend par là. Est ce qu'il y a des artistes qui viennent de l'avant-garde ? Je crois qu'il y a des gens qui gravitent. Si on considère que les petites soirées de l'Antirouille ou du Rockstore peuvent être underground, il y a des artistes qui viennent de l'underground. On voit des gens qu'on voit très peu, assez peu connu du grand public et qui sont intéressants à programmer.

Tout comme le festival Explicit qui propose des entretiens, des lectures ou des projections, même à Radio France, dans une certaine mesure, on voit que les spectateurs cherchent autre chose que de consommer du spectacle. L'Agora des savoirs est un bon exemple aussi d'une certaine quête de sens.
J'aime bien cette expression « quête de sens ». Le propre de cette culture techno, c'est qu'elle n'est pas porteuse de message ou d’idéologie. Même si c'est aujourd'hui un mouvement institutionnalisé, à la différence du rock, du punk ou de la soul, c'est le premier mouvement post-moderne d'une musique sans parole qui ne porte pas de message. Il y a, bien sûr, des courants comme la scène Free Party qui revendiquent une idéologie, venue des années Thatcher. Il y peut-être aussi de l'idéologie dans la scène trance-néo-hyppy mais sinon il n'y a pas de discours politique. En ça, la culture techno est très révélatrice de le génération qui la porte. Il y a l'idée de vouloir sortir faire la fête avant tout. « On se fait tellement chier dans notre quotidien, on a juste envie de fête ». La quête de sens, c'est de chercher pourquoi ce mouvement ne véhicule pas de discours politique. On en parle avec Jacqueline Caux qui présentera des films le 11 novembre. C'est une des premières cultures musicales à s'être développée aussi vite, partout dans le monde. C'est une des premières cultures musicales globales. A chaque fois, elle s'est mêlée avec les spécificités régionales. Quand la musique électro est arrivée en Inde, elle s'est transformé en trance-goa. De même pour le clubbing à Ibiza ou à Londres. Elle s'est imprégnée des cultures locales. C'est une culture bourgeoise aussi, c'est peut-être ce qui fait qu'elle ne s'est pas politisée.

Revendiquer un non-discours politique, c'est aussi politique ! Et comment réagissent les politiques à ce courant ?
On a bien vu l'évolution avec Tohu-Bohu depuis 2001. C'était l'époque des Free Parties, des technivals, de la mauvaise presse qui nous traitait tous de drogués. En 2000, l'idée qu'on fasse de la techno en plein milieu du quartier Antigone, il a fallu que Georges Frèche et René Koering la portent. A partir du moment où l'on a été programmé dans le festival de Radio France, ça a donné une légitimité à cette musique. Frèche sentait les choses. Il a pressenti que c'était plus qu'une simple mode et que c'était autre chose que des jeunes qui se réunissaient dans les champs. Malgré tout, un événement électro gratuit, en centre ville, avec 5000 personnes n'a jamais créé aucun problème. Ça a démocratisé le mouvement. Du coup, maintenant, il y a des festivals électro institutionnalisés dans chaque grande ville de France et si les festivals de rock ou de reggae disparaissent, les festival électro restent.

Est-ce aussi parce que ça coûte moins cher.. ou que ça rapporte plus...
Plus maintenant. Aujourd’hui c'est tellement devenu un business que ça coûte aussi cher de faire venir un DJ qu'un groupe. Les producteurs se sont rapidement aperçus qu'il ne se passait rien sur la scène et la paquet a été mis sur l’aspect scénique. Il y a eu un vrai travail sur la scénographie et la lumière qui augmente considérablement le coût technique. Si ça rapporte plus, ce qui n'est pas sûr, c'est qu'il y a plus de public. Il y a de la musique électro dans tous les festivals de rock mainstream. Les Vieilles charrues, Les Eurokéennes, Rock en Seine... Les mastodontes de l'industrie musicale française ont programmé ou programment de la musique électro. Cette année, Mars Attack à Marseille ne programme que de la musique électro et n'a jamais aussi bien marché.

Qu'est ce qu'on peut souhaiter à Dernier Cri ? Pour cette année et pour le futur ?
On espère qu'on remplira les salles mais ça ne m'inquiète pas plus que ça. Avec le temps, je suis de moins en moins inquiet, toujours un peu anxieux mais ça s'améliore ! Cette année on sait qu'on ne gagnera pas d'argent mais on aimerait bien ne pas en perdre ! Mais le projet tient la route. Dans l'avenir, il faut que Dernier Cri devienne Les Nuits Sonores de Montpellier dans 3 ans ! C'est notre créneau, c'est un modèle. Quand je vois le programme des rencontres, c'est génial. Aujourd’hui il y a des gens qui viennent parler d’aménagement urbanistique, de médias, de numérique. Les expos, la programmation... il se passe des choses partout dans la ville, ça rassemble 200 000 spectateurs, des gens de partout dans l’Europe, des entreprises, des collectivités... Et puis l'emprise qu'a le festival sur la scène locale et régionale est fantastique : tous les activistes qui travaillent sur la scène électro et musiques actuelles sont partenaires. Partout il se passe des choses, même des micro événements et ça c'est super. C'est l'idée que le festival Dernier Cri doit s’imprégner de ce qu'est Montpellier, de ce qu'est la ville elle-même. L'idée d'un parcours dans la ville, que ça ne reste pas une rave dans un champ ou dans une ville, mais que la ville respire les musiques électroniques.

DERNIER CRI
Edition 2015
Du 10 Novembre au 15 Novembre 2015 à Montpellier (34)

Crédit-photos : DR et DANTON EEPROM : Fabien Breuil


* Festival français urbain, électronique et indépendant qui fêtera sa 14e édition à Lyon du 4 au 8 Mai 2016.
** Boréalis fut un des premier et plus important festival de musique techno en France. 

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