La Féline : un animal complexe, pour un nouvel album entre harmonie et sauvagerie originelles
- Écrit par : Virginie Gossart
Par Virginie Gossart - Lagrandeparade.fr/ Lorsqu'elle n'est pas auteur, compositrice, chanteuse, et guitariste du groupe La Féline, Agnès Gayraud est aussi normalienne, agrégée de philosophie, ancienne lauréate de la Fondation Thiers, auteur d’une thèse sur «La critique de la subjectivité et de ses figures chez T. W. Adorno». Comme si la coupe n'était pas déjà plus que pleine, les lecteurs de Libération la connaissent aussi comme chroniqueuse musicale. Personnalité multiple et complexe donc, qui a toujours fait de la musique et sait aussi réfléchir sur celle des autres. Entre paroles voilées et mélodies envoûtantes, elle nous livre, après Adieu l'enfance en 2014, un nouvel album intitulé Triomphe.
Comme l'explique elle-même la chanteuse, le titre fait référence aux dionysies, des festivités religieuses de la Grèce antique, et évoque du même coup les bacchantes. Elle explique qu'il y a dans ce choix quelque chose d’esthétique mais aussi un aspect érotique, Dionysos étant également un dieu du corps. Il y a donc sans doute dans ce nouvel album, au-delà de paroles très référencées et parfois mystérieuses à la première écoute, une volonté de se mettre à nu.
Le disque débute avec un titre en forme d'anagramme, dans une forêt de contes, où une femme sauvage, sans doute très inspirée de la Princesse Mononoké de Miyazaki, est capable de dompter les loups. Cette Senga, qui monte aux arbres et connaît les secrets de la nature, n'est autre que le double inversé de la chanteuse, un autre soi fantasmé et capable d'accomplir tout ce qui échappe dans le réel.
Le ton est ainsi donné : la chanteuse fait le choix ludique et paradoxal de placer entre elle et nous un écran de références - mythiques, littéraires, philosophiques ou cinématographiques – pour mieux se révéler. Sous la métaphore se dit toute l'intimité d'un univers en marge.
Il n'est pas difficile d'entendre la place qu'Agnès Gayraud accorde aux mots, à leur polysémie, à leurs sonorités. C'est déjà un tour de force de réussir à faire entrer de telles préoccupations dans le monde très balisé de la pop. Mais là où elle nous séduit complètement, c'est dans cette complémentarité, cette harmonie constante entre des paroles ciselées et des mélodies pop rock qui ne cèdent jamais à la facilité. Pas une fois le texte ne vient étouffer la musique et vice versa.
Et sous la naïveté apparente de certains titres se cache un discours plus critique qu'il n'y paraît, comme dans "Le Royaume", où l'on suit les pas d'un peuple qui se croyait plus fort et plus durable que les autres et d'un habile orateur séducteur de foules qui finira par tout détruire sur son passage. Comment ne pas trouver dans ces paroles universelles des résonances actuelles ?
Arpentant délibérement des chemins éloignés des sentiers battus, La Féline installe dans chaque morceau un univers différent, tantôt plus acoustique, tantôt plus électronique dans ses sonorités. Parfois même, au sein d'un seul morceau, les variations rythmiques et instrumentales épousent le flux discontinu de la pensée et des sentiments, comme dans le magnifique "Séparés (Si Nous Etions Jamais)".
La Féline réussit un album d'une rare élégance, à la hauteur de groupes aujourd'hui trop rares comme Autour de Lucie ou d'artistes tels que Dominique A. Tout en posant sur elle-même et sur le monde qui l'entoure un regard riche et singulier.
La Féline
Nouvel album : Triomphe
Sortie le 27 janvier 2017 chez Kwaidan /!K7
En concert le 16/03/2017 à la Maroquinerie
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