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Pierre Rigal : "Quand on est la même chose, on est aussi autre chose."

  • Écrit par : Julie Cadilhac

MêmePar Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Athlète de haut niveau, spécialiste de 400m et de 400m haies, Pierre Rigal a un parcours aussi singulier et diversifié que brillant. Après avoir obtenu une maîtrise d’économie mathématique et un DEA de cinéma à Toulouse, il se forme à la danse et travaille notamment avec des chorégraphes tels qu’Heddy Maalem, Bernardo Montet, Wim Vandekeybus, Nacera Belaza, Philippe Decouflé et des metteurs en scène tels que Mladen Materic ou Guy Alloucherie.
 En 2002, en même temps qu’il intègre la compagnie de Gilles Jobin pour "Under Construction" et la reprise de "The MÅ“bius Strip", il réalise des clips vidéo et des documentaires et conçoit notamment en 2001 « Balade à Hué Â» pour France 3. En 2003, il fonde la Compagnie Dernière Minute dont la première pièce est le solo "érection", co-mis en scène avec Aurélien Bory. Suivent ensuite - mais pas que! - « Arrêts de jeu Â», « Asphalte Â», « Micro Â», « Bataille Â» et en 2016, « Même Â», une création pour le Festival Montpellier Danse.

Nous avons découvert "Même" le soir de la première lors du festival Montpellier Danse : voilà un objet théâtral pertinent qui utilise avec singularité et succès la danse et la performance physique comme vecteurs d'une réflexion philosophique. Qu'est-ce que le même? Qu'est-ce que l'autre? "Neufs interprètes entrent sur scène". Jouant sur la répétition et les boucles, les impressions de  déjà-vu, peu à peu le plateau devient schizophrénique : sur scène, ça rit, ça se transforme en primate, ça accèlère à fond les baleines, ça ralentit jusqu'à s'amolir, ça parle au micro, ça chante, ça s'invective, ça arrive en retard...et c'est délicieusement décalé et moderne. Riche de trouvailles aux répercutions souvent cocasses, voilà une proposition résolument fraîche et pétillante dont les amateurs d'Objets théâtraux dansés non identifiés devraient raffoler! Et en empruntant quelques vers à Paul Verlaine : "Même" est une sorte de rêve éveillé, étrange et stimulant , qui n'est, chaque fois, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, qu'on aime et qu'on comprend.

1110 représentations. 40 pays. La Compagnie Dernière Minute diffuse largement en France et à l'étranger son esthétique sensible et originale de la danse. Une vision exigeante et élaborée qui se fonde sur la nature même de cet art primitif, spontané et intuitif. Ce langage naturel et universel du corps humain se veut pour Pierre Rigal "une réflexion, un positionnement, un révélateur du corps dans le champ social, philosophique, religieux et économique." "Même", sa dernière création, nous invite à réfléchir sur l'identité, la transmission et les évidences qui n'en sont pas. Jouant avec les paradoxes et le doute, il entremêle dans une "comédie musicale expérimentale" des téléscopages de sons et de gestes, un zeste de mythologie grecque et une pincée d'humour. Même qu'on va l'écouter ici même car il est le plus à même, tout de même, de nous expliquer la genèse et le processus de création de ce "Même", non?

Quelles ont été vos sources d’inspiration pour « Même Â»?
Au début, ce fut une source d’inspiration formelle; j’avais envie de travailler sur le mélange théâtre, danse et musique. J’ai donc commencé à faire un travail de laboratoire sans objectif principal et ensuite je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait, c’était la thématique de l’obsession et de la névrose…du coup, formellement, cela se traduisait par un travail sur la boucle. La boucle, c’est une répétition, soit de musique, de son, de parole ou de mouvement. Alors, plus tard, après différents laboratoires, j’ai travaillé sur ce mot «  même Â». Le même, c’est lié à la similitude forcément mais aussi à la surenchère, donc on va dire à l’exagération... et puis, le mème, quand on l’écrit avec un accent grave, c’est un nouveau mot en sociologie qui veut dire « phénomène culturel Â»: un produit qui s’élabore par l’imitation. Voilà, à la genèse et en substance, ce qui a déclenché le travail pour "Même".

Vous avez pu évoquer également le mythe d’Oedipe parmi vos sources d’inspiration. Dans quelle mesure a-t-il nourri votre travail?
Le mythe d’Oedipe a nourri le travail au départ je dirais. Au final, dans la pièce, il ne s’agit absolument pas d’une reconstitution d’une des versions du mythe mais il est vrai qu’au départ j’ai commencé à penser à ce mythe. Ce que j'en retenais, c’était la notion de mise en doute de l’évidence. Oedipe croit connaitre une réalité et en fait la vérité est toute autre. Et puis aussi, bien sûr, avec Oedipe, on pense à la psychanalyse et donc on pense à la névrose, à la répétition d’un comportement, d’une attitude. Ces deux aspects-là m’intéressaient mais, après, au final, dans la pièce, le lien avec le mythe des Labdacides n’est pas flagrant.

Quelles sont vos méthodes de travail avec les danseurs? Quels types d’exercice, par exemple, avez-vous mis en place pour cette création et pourquoi?
Justement je n’ai pas que des danseurs, il y a aussi des performers qui sont acteurs et musiciens et par conséquent ce spectacle n’est pas une pièce de danse ; c’est une représentation aux visages multiples qui associe création de musique, scènes de théâtre et chorégraphies. Tout le monde doit passer plus ou moins par tous les postes; l’idée c’est de brouiller un peu les pistes et de les impliquer tous dans toutes les activités même si ce n’est pas au départ leur spécialité. Les gens qui ne sont pas spécialistes d’un format peuvent parfois trouver des idées qu’un spécialiste ne pourrait pas imaginer aussi tous sont impliqués dans le travail de recherche. Je procède par improvisations. Je propose des idées d’ateliers et on essaye des choses jusqu’à l’élaboration de la narration. La narration ici est forcément un peu expérimentale.

MêmeCe « Même Â» a entraîné l’idée d’un travail sur la répétition qui vous a mené vers l’idée de mimétisme…ce travail se fonde-t-il sur un mécanisme « boule de neige Â» c'est à dire qu'un geste ou un son est reproduit encore et encore, il se propage etc.? 
Par exactement, il y a l’idée de mimétisme dans l’association d’idées. On a bien sûr essayé le mimétisme dans tous les domaines. Un geste ,en effet, on peut le répéter et le transmettre à d’autres personnes. La répétition est cependant beaucoup liée à la question de la transmission, de l'associations d’idées et du double…et là - si je fais un décrochage - je dirais qu'il y a un petit lien avec Oedipe et la question du double. Qui est notre double? Lorsqu’on réfléchit au même, évidemment, la question de la différence apparaît immédiatement aussi parce que le même est impossible. Si l’on réfléchit par exemple à des clones : le clone d’une personne est à la fois la même personne et ne peut pas être la même personne aussi. En fait, il faut savoir que cette notion de même est assez récente et elle dit à la fois certaines choses et leur contraire. On ne peut pas être la même chose de la même personne et être exactement la même personne, c’est impossible. Quand on est la même chose, on est aussi autre chose! On a pas mal réfléchi là-dessus...tout en ne répondant pas à cette question paradoxale. On s’est, au final, amusé à jouer avec ces paradoxes.

Je vous cite : « Ã€ force de duplications erronées, le même peut se transformer en son contraire… ou en lui-même. Â» S’il se duplique de manière erronée, le même ne peut pas rester fondamentalement toujours le même. Vous venez de nous dire que le même ne peut pas être exactement le même...
« Ã€ force de duplications erronées, le même peut se transformer en son contraire… ou en lui-même. Â»: c'est une phrase assez paradoxale. Le spectacle est basé sur ce paradoxe. Quand on parle du même en chorégraphie, on parle du temps… si l’on fait la même chose, il faut que ce soit en même temps... si ce n'est pas en même temps, ce n'est pas la même chose. On parle donc du temps, du contretemps, du retard. Le retard est une sorte d’échec du même. On s’amuse à jouer là-dessus...et à force d’accumuler un retard, il peut se produire une surprise, quelque chose qui ressemble à un même. Cette question purement mécanique en chorégraphie du faire les choses ensemble ou en décalé peut amener à des questions métaphysiques sur ce que c’est que d’être en retard, sur ce que c’est que le temps, sur la question de voir les choses ou de les revoir.

Quel sera l’univers sonore de "Même"?
Il est difficile de décrire la musique …elle est beaucoup composée de mots. Oui, avant de parler de musique, il y a la notion de mots; ces mots peuvent être répétés ou dupliqués et à force d’être dupliqués, ils peuvent devenir chansons…La musique, on pourrait la définir de « transrock Â», c’est à dire quelque chose de rock mais qui se transforme et qui peut évoquer peut-être la musique minimaliste...mais j'avoue que j’ai un peu de mal à la décrire. C'est quelque chose de singulier.

Vous qualifiez ce spectacle « Même Â» de « comédie musicale expérimentale Â»; pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par ce terme?
Comédie musicale : j’ai un peu hésité à utiliser ce terme parce que c’est un genre qui rentre dans une imagerie particulière dans l’inconscient collectif. En tous cas, ce ne sera pas une pièce genre Broadway ou Parapluies de Cherbourg, c’est pour ça que je l’appelle expérimentale. Ce qui est sûr c’est qu’il y a de la musique créée en direct sur scène mais aussi du théâtre et de la danse…il y a donc les ingrédients pour la comédie musicale, avec une sorte de narration aussi et un peu de suspense on va dire. Ce n’est pas une pièce de danse abstraite mais tout ça n’est pas non plus complètement clair : la notion de double crée le trouble et c’est pour cela que j’ai ajouté le terme expérimental dans le sens où ce travail n’est pas forcément très commun.

Même

Une comédie musicale expérimentale de Pierre Rigal
 ( Cie Dernière Minute)
Sur une musique originale de Micro Réalité
Avec Pierre Cartonnet, Mélanie Chartreux, Malik Djoudi, Gwenaël Drapeau, Julien Lepreux, Pierre Rigal, Denis Robert, Juliette Roudet, Crystal Shepherd-Cross

Collaboration artistique :  Roy Genty 

Collaboration à l’écriture des textes : Serge Kribus

Lumière : Frédéric Stoll

Sonorisation : George Dyson

Assistanat répétitions : Cécile Lazerges & Christian Vialaret

Mise en production : Sophie Schneider assistée de Nathalie Vautrin

Dates des représentations :

- Création pour le Festival Montpellier Danse les 6, 7 et 8 juillet 2016

- Du 4 au 7 octobre 2016 à la Maison de la Culture de Bourges

- Les 18 et 19 octobre 2016 au Manège de Reims ( Scène Nationale)

- Les 19 et 20 janvier 2017 au Théâtre National de Toulouse

- Les 24 et 25 janvier 2017 au Lieu Unique, Scène Nationale de Nantes

- Le 7 février 2017 à Théâtres en Dracénie ; scène conventionnée de Draguignan

- Le 10 février à l'Opéra de Saint-Etienne

- Les 2 et 3 mars 2017 au Tandem, Scène Nationale d'Arras

- Les 7 et 8 mars 2017 au CDN de Haute-Normandie de Mont-Saint-Aignan

 

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