P.P.P. : le baiser du givre de Phia Ménard
- Écrit par : Elodie Cabrera
Par Elodie Cabrera - Lagrandeparade.fr/ Entrée en salle à 20H35 pétante. Les spectateurs prennent leur mal en patience car le décor doit rester intact, le plus longtemps possible isolé de la chaleur humaine. C'est que sur scène, tout est de glace : boules suspendues au plafond à intervalle régulier, tapis d'or blanc pillé et blocs translucides grossièrement taillés. Sur l'un d'eux : Phia Ménard, chapka au raz du front et manteau de fourrure sur le dos. Avec lenteur, d'une grâce mesurée, elle se lève, s'éveille tel un papillon au sortir du cocon. Crack. Splarck. Une des boules vient de s'écraser sur le sol.
Utiliser un matériau aussi instable que la glace relève de la folie, du défi et du génie à la fois. Si on laisse de côté la beauté de cette matière modulable qui varie du blanc de céruse au blanc d'argent, tantôt opaque, tantôt étincelant, on doit reconnaître qu'elle est un formidable instrument dont la compagnie Non Nova a su exploiter le panel des sonorités. Balancée en cristaux, elle pleure comme un bâton de pluie ; fracassée sur le sol, elle résonne comme le bourdon d'une église. Et lorsqu'elle fond, irrésistiblement attirée par la gravité, elle se répand en milliers de gouttelettes sur le sol. Un tintement presque inaudible, son chant du cygne.
Tout au long de cette introspection charnelle, Phia et la glace dialoguent. Elle la manipule, la lèche, la fait rouler sur le sol comme un chiot devant une balle, la rattrape. L'eau figée, la vie cristallisée se transforme, se polit, rapetisse au contact de sa peau. Et s’égoutte jusqu'à laisser place à un lac de larmes, seul trace de leur union. Les autres témoins sont d'étranges frigos téléguidés qui baragouinent un dialecte électro-technique. Une sorte de râle à la croisée entre R2D2, Daft Punk et le chant grégorien. Deux d'entre eux renferment des balles de jonglage, petites, grandes, toujours gelées, tandis que le troisième fait office de loge où Phia se dévêtit et se vêtit derrière une vitre en plexiglas. Plus frileuse, l'assistance aura, dans sa grande majorité, conservé son manteau. Thermomètre en berne, préservation oblige.
Phia, elle, affronte cette banquise éphémère en sous-vêtements et même trempée dans les derniers instants. Son corps se débat et le décor la bat. On se mord la lèvre quand la boule contact couvre son épiderme de douces morsures. On se crispe lorsqu'elle se roule dans les paillettes glacées comme s'il s'agissait de sable chaud. On frisonne quand elle jongle sans gants durant de longues minutes. Quelle que soit la gestuelle, elle finit toujours par la ramener à la P.P.P. : « position parallèle au plancher ».
Cette création rappelle au corps ce qui le compose : os, chair, sang, sexe, etc. La beauté atypique de Phia, sa drôlerie circassienne et son déhanché façon Manara habite l'espace avec une telle puissance scénique qu'il est impossible de détourner le regard. Elle incarne l'énergie qui la pousse à s'extraire du carcan qui l'a vu naître pour apparaître telle que nous la contemplons. Pour P.P.P., l'artiste explique avoir puisé ses inspirations « dans les sensations et questionnements accumulés durant {les} dix dernières années à parcourir le globe lors de tournées, ces moments où {sa} peau d'homme devenait insupportable, où {elle} se sentait une femme travestie en homme dans le jeu des mâles. »
Phia Ménard née Philippe Ménard conclut la représentation par un discours bref portant sur la tolérance, son engagement auprès des transsexuels et son combat pour la reconnaissance de leur identité sur le papier. « J'espère qu'un jour nous pourrons être considérés comme des citoyens comme vous... qui avons simplement décidé de continuer à vivre parmi vous. » Crack. Splarck. Ce n'est plus le froid qui glace l'échine.
P.P.P. de Phia Ménard
Création et interprétation : Phia Ménard
Assistée de Jean-Luc Beaujault
Création : lumière Robin Decaux
Régie lumière en alternance : Alice Rüest et Aurore Baudouin
Musique et espace sonore : Ivan Roussel
Diffusion des bandes sonores en alternance : Ivan Roussel et Olivier Gicquiaud
Création plateau, manipulations : Pierre Blanchet
Régie plateau, manipulations en alternance : Pierre Blanchet et Manuel Menes
Régie des glaces en alternance : Jean-Luc Beaujault et Rodolphe Thibaud
Construction des robots : Philippe Ragot
Scénographie : Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault
Régie générale : Pierre Blanchet
Durée 1h / tout public dès 11 ans
Prochaines dates :
- 22 mars 2016 - Festival SPRING / La Brèche, Pôle National des Arts du Cirque de Basse-Normandie,Cherbourg-Octeville (50)
- Les 11 et 12 octobre 2016 à la Scène Nationale de Sète et du bassin de Thau ( 34)
[bt_youtube url="https://www.youtube.com/watch?v=KJhauUOn_ik" width="600" height="400" responsive="yes" autoplay="no"][/bt_youtube]