Sunra : le graffeur montpelliérain au(x) grand(s) coeur(s)
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.com/ D'origine tunisienne, l'artiste d'art urbain Sunra est venu poser ses valises dans la capitale languedocienne... Les badauds peuvent découvrir au gré de leurs flâneries montpelliéraines ( rue des chasseurs, rue Estelle, rue Chaptal, rue de la méditerranée, rue Roucher, rue du 56ème Régiment d'Artillerie, rue Pralon, rue Lamartine...) ses créations... mais sa signature commence mainenant à se promener ailleurs aussi et l'on croise un Cupidon moderne ou encore une boîte aux lettres regorgeant de messages d'amour à Toulouse ( rue Gramat), un immense saxophoniste à Junas ou encore un homme juché sur son âne et un pêcheur ayant tous deux le même leurre vermillon à Djerba...
Graffeur au(x) coeur(s) omniprésent(s), armé d'une bombe aérosol, Sunra, dessinateur-poète inspiré, égaye le quotidien avec ses touches de couleurs vives, ses citations joueuses ou percutantes et ses dessins "en situation". Ses personnages, simples silhouettes anonymes ou personnalités connues, accueillent le regard avec espièglerie et contiennent toujours un message aussi simple qu'efficace de paix, de bienveillance, de partage....et nous sommes ravis de vous le présenter ici!
[bt_quote style="default" width="0"]Je m’appelle Ghassen (ça se prononce Racen). Sunra est l’inversion phonétique des syllabes de mon prénom. Dans la mythologie égyptienne, Ra est le Dieu du soleil. Cela collait bien avec l’énergie et le climat de Montpellier, mais aussi avec mes origines. Etant amateur de musique Jazz, cela fait également référence au Jazzman Sun-Ra.[/bt_quote]
On peut lire sur votre site : « L'envie de couvrir les murs des villes est née avec l'émergence des printemps arabes en 2011. » Faire pousser des coeurs pour inviter le monde à la tolérance, au respect de l'autre...votre travail est une sorte de manifeste pour la liberté?
Oui effectivement la révolution tunisienne m’a beaucoup touché de par mes origines d’une part il est vrai, mais également de par le mouvement politique qui était en train de s'édifier. Sortir dans la rue pour clamer sa pensée, celle d’être libre, demande du courage car on brave un interdit. J’ai vécu jusqu’à mes 20 ans dans un pays où la critique est interdite et la liberté d’expression un acte réprimé. Donc pour moi, je me devais de réagir ce 14 janvier 2011. J’étais en France à ce moment-là et je souhaitais revenir en Tunisie pour m’exprimer comme le peuple tunisien l’a fait. La libération du peuple tunisien avait libéré en moi également l’envie de vaincre ma timidité et de m’exprimer sur les murs.
[bt_quote style="default" width="0"]La libération du peuple tunisien avait libéré en moi également l’envie de vaincre ma timidité et de m’exprimer sur les murs.[/bt_quote]
Que faisiez-vous avant 2011? Le graffiti était-il déjà un mode d'expression que vous pratiquiez?
Avant 2011, je travaillais dans le monde du graphisme à Montpellier. Le graffiti est un mode d’expression que j’ai connu à travers le hip hop, culture que j’ai davantage appris à connaître lors de mes premières années à Montpellier en 2001. Le hip hop était pratiquement invisible à l’époque de mon adolescence en Tunisie.
Vous évoquez Banksy, Basquiat ou encore Picasso comme sources d'inspiration...Si vous deviez citer une oeuvre de chacun d'entre eux et nous expliquer pourquoi elle vous inspire particulièrement, lesquelles seraient-ce?
Concernant Basquiat, je n'ai pas d'oeuvre précises à citer. Ce qui me touche, de manière générale dans son travail, c’est son traitement de la peinture. Ses tableaux sont à la fois un retour à l’enfance et tout un univers complexe car ses oeuvres sont emplies de pictogrammes, de petits mots, de plein de choses à déchiffrer….et puis j’aime la force des couleurs utilisées, ce contraste, beaucoup de rouge, de jaune, de couleurs violentes. On sent que son geste s’est fait sur l’instant, qu’il n’a pas été hyper réfléchi…j’aime sa spontanéité artistique.
Concernant Bansky, son travail parle de choses courantes de la société et ce qui me plait, c’est le fait que ce sont ses visuels très simples mais très porteurs.
J’ai souvent retenu dans la peinture que la difficulté n’est pas forcément de complexifier son travail, de le détailler…mais plutôt de le simplifier. Un peu comme Picasso qui, dans sa vie, est passé par plein de courants de peinture et, pourtant, au fur et à mesure qu’il a évolué, il est allé vers la « simplification ». Matisse a fait de même.
Bansky, ses illustrations sont tellement simples, elles parlent tellement à tout le monde qu’elles sont toutes porteuses.
Concernant Picasso, je peux citer un tableau qui m’a particulièrement marqué : Guernica ; c’est un tableau que j’avais retravaillé d’ailleurs à une époque. C’est une toile qui me plaît pour son engagement. Je l’ai étudiée à l’école et le vrai tableau, je ne l’ai vu que cinq ans plus tard à Madrid…et je me souviens que la comparaison entre la taille de l’oeuvre sur le bouquin et celle dans la réalité m’avait impressionné.
Nous....on vous nommerait bien le « Prévert montpelliérain du street-art »...pour votre capacité à diffuser des messages pacifistes et épris de liberté avec des artifices simples, lisibles et populaires...ça vous conviendrait comme comparaison? Y-a-t-il un poème de Prévert que vous aimez particulièrement?
Je suis honoré de savoir que je peux être comparé à un poète tel que Jacques Prévert. Ses écrits sont magnifiques.
Récemment un instagrameur a associé avec pertinence une de mes œuvres (L’enfant révolutionnaire sur le mur de Sète) à un poème de Prévert que voici :
Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre d'abord une cage avec une porte ouverte peindre ensuite
quelque chose de joli quelque chose de simple quelque chose de beau
quelque chose d'utile pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi mettre de longues années avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été et puis attendre que
l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
C'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau
D'où vient ce nom, Sunra?
Je m’appelle Ghassen (ça se prononce Racen). Sunra est l’inversion phonétique des syllabes de mon prénom. Dans la mythologie égyptienne, Ra est le Dieu du soleil. Cela collait bien avec l’énergie et le climat de Montpellier, mais aussi avec mes origines. Etant amateur de musique Jazz, cela fait également référence au Jazzman Sun-Ra.
Comment nait chacune de vos créations? Est-ce le lieu choisi qui motive le dessin que vous allez produire? Ou avez-vous déjà en tête une image et vous cherchez en flânant dans les rues quel mur serait l'idéal pour l'accueillir?
Concernant mes créations, C’est un mélange tout cela. J’aime composer avec l’environnement urbain. Parfois c’est un message que j’aimerais véhiculer qui est le début d’une création. Je n’ai pas de modèle prédéfini de création. Mes balades dans les rues, ma famille, mon univers musical, mon cercle amical, les références artistiques … autant d’influences qui accompagnent mes créations.
Il semble que le nom des rues peut avoir une influence sur le dessin...on se trompe?
Non, je n’attache pas forcément d’importance au nom des rues dans mes créations.
La musique aussi semble avoir une importance dans votre travail...Quel musicien(s) ou interprète(s)incarnent pour vous cet idéal pacifiste que portent vos fresques?
Effectivement la musique influence beaucoup mon univers. Il y en a tellement. Je m’inspire d’artistes tels que Chet Baker, Nina Simone ou Gill Scott-Heron par exemple. Des artistes que j'ai déjà illustrés dans mes travaux.
Avec quels outils et matériaux travailliez-vous? Y-a-t-il des moments spécifiques pour faire du graffiti pour Sunra? ( le matin, le soir, la nuit....) Préférez-vous travailler seul et dans le calme...ou, au contraire, appréciez-vous de travailler entouré de curieux.ses en transition?
J’utilise principalement la technique du pochoir. J’ai un moment c’est vrai que j’affectionne plus particulièrement pour réaliser mes pochoirs sur les murs : très tôt le matin. Les gens nous perçoivent différemment selon que l’on agisse la nuit ou bien le jour. Lorsque je travaille mes découpes, je suis souvent seul au calme. Lorsqu’il s’agit de la réalisation, il arrive que des curieux se joignent à moi.
Si vous deviez citer un artiste de street-art contemporain et vivant dont le travail vous plait, lequel serait-ce?
Banksy bien évidemment !
Enfin...votre signature part de plus en plus en voyage...Pourriez-vous nous dire un mot sur vos prochains projets?
J’aurais aimé mais désolée c’est encore secret…!
Crédit du portrait de Sunra : Maria Algara Regàs©