Montpellier : les années 2000 de retour à l’Hôtel des collections
- Écrit par : Romain Rougé
Par Romain Rougé - Lagrandeparade.com/ Pour sa réouverture, jusqu’au 30 mai 2021 et gratuitement, l’Hôtel des collections du MO.CO. propose de rattraper « 00s – Les années 2000 », toute première exposition consacrée à cette décennie. C’est aussi une des collections d’art contemporain les plus importante d’Europe : la « Collection Cranford » de Muriel et Freddy Salem regroupe 700 œuvres dont 80 sont actuellement exposées à Montpellier.
Pour parler de cette exposition, nous avons rencontré Muriel Salem en présence d’Anne Pontégny, conservatrice de la collection Cranford et de Vincent Honoré, directeur des expositions au MO.CO.
Quelle est la genèse de cette exposition ?
Vincent Honoré : D’abord, je connaissais la collection Cranford. S’étant constituée à partir de 1999, ça m’intéressait de véritablement revenir à son origine. Ensuite, Nicolas Bourriaud a proposé le thème, réalisant que les années 2000 n’avaient jamais eu d’exposition qui leur était consacrée. Ces deux faits nous ont paru une bonne structure pour construire l’événement. Il faut savoir que cette collection, ce sont des histoires au pluriel : à la fois une histoire de l’art et une histoire personnelle. Ce sont des œuvres avec lesquelles Muriel et Freddy Salem vivent, qui ont une expérience de sensibilité.
Muriel Salem : Cette exposition traduit vraiment ce qui était en train de se passer autour de nous à cette époque. Avec Freddy, on achète avec le cœur, comme quand on tombe amoureux.
Quel rapport entretenez-vous avec les artistes ?
Muriel Salem : Un lien indéniable. Bien que je sois plutôt timide et réservée avec eux, par respect pour les œuvres.
Anne Pontégny : Ce qui compte beaucoup pour les artistes, c’est que Muriel et Freddy n’ont jamais vendu les œuvres pour faire du profit, contrairement à ce que font beaucoup de collectionneurs. Quand pour une raison X ou Y, une œuvre est vendue, c’est toujours après avoir demandé à l’artiste qui apprécie cette sincérité et ce respect de leur travail.
Vincent Honoré : Les œuvres de la collection sont prêtées, sont accessibles au public, c’est aussi ça que les artistes apprécient chez Muriel et Freddy.
Muriel Salem, qu’est-ce que vous trouvez intéressant dans cette décennie-là ?
Muriel Salem : On a commencé la collection en 1999 parce que c’était le moment où je pouvais avoir accès à l’art, j’étais prête pour entamer une collection. Avant ça, j’achetais des œuvres de temps en temps puis avec Freddy, on s’est mis à construire une histoire qui nous ressemble, qui a commencé à Londres où il y avait cette énergie, la période du « Cool Britain ». Mon intérêt pour l’art contemporain m’a aussi aidé à m’intégrer dans cette société britannique. Quand on est arrivés un peu à saturation avec l’histoire anglaise, on s’est tournés vers les artistes allemands, puis d’autres pays… Plus personnellement, c’est aussi un moment où je me suis réalisée en tant que femme indépendante.
Il y a d’ailleurs une grande part d’artistes féminines dans cette collection…
Muriel Salem : Ça nous tient beaucoup à cœur ! Et ça continue à se développer formidablement, je suis toujours étonnée de la qualité des œuvres. Je suis très heureuse que les femmes aient aujourd’hui une voix à porter, qu’elles s’expriment librement dans l’art contemporain : elles ont un rôle à jouer ! La collection elle-même est gérée par une équipe de femmes, ce qui en fait aussi une particularité. Je crois qu’elle a moins d’égo qu’une collection qui aurait été faite par un homme.
On note aussi que l’art l’abstrait a une place prépondérante dans cette collection…
Muriel Salem : Il y a différents arts abstraits : Guyton/Walker c’est une chose, Christopher Wool une autre, Albert Oehlen c’est encore autre chose... L’abstraction ne vient pas de nulle part, elle est connectée à l’histoire de quelqu’un et à ce que l’artiste veut dire : chaque œuvre veut dire quelque chose, c’est une richesse, c’est un langage à part entière et une fois qu’on rentre dedans, ça ne finit plus...
Vincent Honoré : C’est une des forces de l’exposition : il n’y a pas de répétition, il y a beaucoup de figuration en termes de photographie, de sculptures. Il y a une tension entre l’abstraction et la figuration comme dans les œuvres de Karen Kilimnick ou de Rebecca Warren. C’est, à mon sens, peut-être un moment où une décennie est en tension, ne sait plus, est bloquée entre une apparition et une disparition de l’image, on ne sait plus trop où aller. Comme une page blanche ou une page noire.
Une page noire que l’on retrouve dans la magnifique œuvre « Stranger in the Village » de Glenn Ligon, qui a aussi une résonnance avec l’actualité des années 2020…
Muriel Salem : Oui, c’est une œuvre très lyrique, avec ses écritures à peine dissimulées, ce charbon dominant et ce texte de James Baldwin… Il y a toute l’histoire américaine dans cette œuvre, c’est ce qui m’a complètement intéressée ici. C’est une de mes préférées.
Muriel Salem, ouvrir la collection au public au MO.CO., à Montpellier, ça évoque quoi pour vous?
Muriel Salem : Ouvrir la collection au public est primordial pour nous, c’est même une responsabilité. Montpellier, en tant que ville universitaire, est importante. Le MO.CO. qui regroupe une école d’art, un centre d’art (La Panacée) et l’Hôtel des collections est une alliance parfaite : c’est un lieu où l’on va développer l’esprit critique, utiliser ce dernier comme outil pour apprendre, pour discuter d’art. Pour la collection Cranford, c’est un partenariat idéal. L’existence d’une telle structure c’est quand même formidable, non ?
00s - Collection Cranford, les années 2000
Jusqu’au 30 mai 2021
MO.CO. Hôtel des collections - Montpellier
https://www.moco.art/fr/exposition/00s-collection-cranford-les-annees-2000