Louloute : Avoir 8 ans en Pays d’Auge
- Écrit par : Carine Roy
Par Carine Roy - Lagrandeparade.com/ Emmitouflée dans son gros pull en laine rouge, Louise, surnommée Louloute, vit et grandit dans une ferme. Elle rêve, se rebelle, tombe amoureuse... Impuissante, elle voit son père se débattre pour survivre, acculé par les dettes. Nous sommes dans les années 80 en Pays d’Auge. Une première version du scénario a été écrite en 2008 pour un projet de court métrage qui n’a pas abouti. « C’était juste les rêveries d’une gamine de 8 ans au sein de sa famille, quelque chose de nettement plus léger. Je voulais décrire une sorte de concentré d’enfance, que chacun s’y reconnaisse »*, déclare Hubert Viel, le réalisateur. Les années ont passé et le scénario a été réécrit en s’inspirant de l’actualité : la crise laitière, la précarité et la tragédie familiale qui en découle… Le cinéaste s’est beaucoup intéressé à l’histoire de l’Union européenne et à sa gestion bureaucratique du monde agricole. « Face à l’absence d’une quelconque solidarité, la P.A.C (Politique Agricole Commune) s’est retrouvée à subventionner les agriculteurs mais jamais suffisamment pour permettre leur survie. Cette double peine a poussé un certain nombre d’entre eux au suicide, notamment à cause de cette politique des quotas complètement ubuesque qui fixait une limite de production laitière par Etat membre. Il faut savoir également que ce sont les industries laitières qui récupèrent le lait des petites exploitations et qui en fixent le prix en suivant les cours de la bourse. »
Louloute est ainsi un film-témoignage sur le désespoir du monde paysan, mais c’est aussi un beau film sur le passage à la vie adulte. En immersion dans le quotidien de Louise, on vit toutes les scènes à travers les yeux de la jeune Louise. Formidable jeune comédienne, Alice Henri. « C’est un personnage qui ne quitte jamais le spectateur, et quand on croit qu’elle n’est pas dans une séquence, elle est en fait en train d’observer, voire d’épier. C’est le seul moyen pour que l’on puisse s’attacher à elle, avoir le sentiment de partager son intimité, jusqu’à pouvoir s’identifier pleinement », confirme le cinéaste. Pour nourrir son film, il a fait appel à ses souvenirs d’enfance. Il a grandi dans un milieu rural puisque son père est éleveur de trotteurs en Pays d’Auge. Le personnage de la petite héroïne est vite devenu son double même si sa famille n’a pas connu l’épreuve que connaît celle du film.
Le film est aussi très original dans sa construction : la narration est en flashback avec le dédoublement de l’héroïne. On ne sait plus si c’est Louise adulte (incarnée par Erika Sainte), qui se souvient de son enfance ou si c’est Louise à 8 ans qui projette son avenir ? Hubert Viel sème le doute en se référant à la parabole du papillon de Tchouang-tseu : « Suis-je un homme qui rêve d’être un papillon ou un papillon qui rêve d’être un homme ? ». Louise ne dit-elle pas à un moment : « Les souvenirs deviennent vrais et la réalité devient fausse… » Les comédiens entretiennent ainsi le trouble… On retrouve avec plaisir Laura Calamy, forte et fantasque, dans le rôle de la mère de Louise ; et Bruno Clairefond, dans le rôle de son père, tout en sobriété. Sans oublier les autres membres de la ferme : les vaches, un chien, un hibou, des poulets, un furet… Hubert Viel n’a pas écouté un de ses anciens professeurs d’école de cinéma : « Il y a deux choses à ne pas faire, c’est faire des films avec des enfants et faire des films avec des animaux ! » Le cinéaste n’a pas suivi son conseil et il a eu raison. Avec ce long métrage, il a trouvé un joli et émouvant équilibre entre le conte (en référence à la poésie du dessinateur et réalisateur Hayao Miyazaki) et le naturalisme sous influence des films de Maurice Pialat. On a aussi aimé le choix des couleurs primaires et vives pour symboliser les années 80 ainsi que le belle photographie de la directrice Alice Desplats avec ses images tournées en 16mm et ce grain si particulier de la pellicule.
*Propos du réalisateur extraits du dossier de presse.
Louloute
Réalisation : Hubert Viel.
Avec Laure Calamy, Alice Henri, Bruno Clairefond...
Sortie en salles : le 18 août 2021