El Clan : une famille (pas) comme les autres
- Écrit par : Guillaume Chérel
Par Guillaume Chérel - Lagrandeparade.fr/ Basé sur un fait-divers réel, « El Clan », film argentin de Pablo Trapero, en compétition à la Mostra de Venise (Lion d’argent de la mise en scène), dresse le portrait glaçant de la famille Puccio, apparemment au-delà de tout soupçon, passée maître dans les enlèvements de personnes fortunées à Buenos Aires. Sa sortie est prévue pour le 12 février 2016 mais il était présenté en avant-première à Paris, au cinéma Majestic Passy, le 14 décembre dernier, en présence du réalisateur… et de l’acteur Vincent Lindon (Palme d’or du dernier Festival de Cannes, venu présenter le film. S’en est suivi un débat auquel assistait Tahar Rahim (« Les Anarchistes »). Les acteurs français semblent apprécier ce réalisateur…
Alors que l'Argentine expérimente la démocratie après la dictature militaire (1976-1983), Pablo Trapero revient sur quatre enlèvements retentissants commis entre 1982 et 1985, jusqu'à ce que les Puccio soient démasqués par la police, et arrêtés dans la maison familiale de San Isidro, une banlieue résidentielle de la capitale argentine : « J’ai entendu parler de l’affaire « Puccio » quand j’avais 14 ans, lorsqu’ils ont été arrêtés le 23 août 1985, a t-il expliqué aux spectateurs privilégiés. Le film raconte l’intimité de cette famille, très appréciée dans son quartier, dont on découvre l’activité criminelle dans un contexte historique de l’Argentine particulier puisqu’il s’agit de la transition entre la dictature et la démocratie. ».
Le père, Arquimedes (qui a l’air d’un paisible comptable retraité), est le stratège. Il planifie les enlèvements contre rançon, ciblant deux connaissances de son fils, joueur de rugby de talent, et deux chefs d'entreprise de sa connaissance. Son fils aîné, Alejandro, a beau être en équipe nationale d'Argentine (les « Pumas »), il participe aux forfaits, comme son frère cadet, Daniel, lequel finit par collaborer. Ce qui ne sera pas le cas du petit dernier, qui ne remettra plus jamais les pieds en Argentine. La mère, Epifania, affiche une attitude passive et complice, allant jusqu'à rappeler à l'ordre Alejandro quand il manifeste le désir de rompre avec la famille, sous prétexte que le père "fait ça" pour eux… Deux amis du père complètent l'organisation criminelle.
Dans la réalité, quand le scandale a éclaté, en 1985, le fils aîné portait les couleurs d'un club emblématique, le Club Atletico San Isidro (CASI). C’est l'une des questions que pose le film : les personnages sont attachants et on se demande comment le jeune rugbyman, joué par Peter Lanzani, a pu suivre son père, incarné par Guillermo Francella (une star comique en Argentine) dans l’horreur, alors qu’il avait tout pour être heureux : célébrité due à sa carrière sportive, une fiancée ravissante et sportive… une famille unie. Trop unie. On croit, au début du film, à des motivations politiques derrière les enlèvements. Mais non, l'appât du gain est le fil conducteur, sans pour autant que l'enrichissement personnel n'apparaisse à l'écran. Car la famille continue de vivre dans son quartier, comme avant. Avant quoi ? Avant la démocratie… La métaphore est aussi subtile que puissante. Sous-entendu, il fallait bien « occuper » les collaborateurs du système totalitaire qui se retrouvaient au chômage.
La caméra réaliste (il filme de près les acteurs) de Trapero dévoile la relation psychologique ambigüe entre père, caïd de la famille, et fils, brillant sportif. Une relation froide et d’une cruauté inédite. Ce fils vit sous l'emprise de son père alors qu'il est en mesure de s'enfuir ; ce qu’a fait, rappelons-le, l’un des trois fils, qu’on ne voit pas. Trapero rappelle ainsi qu’on peut choisir de collaborer ou pas. Avant les enlèvements, Arquimedes Puccio avait mouillé dans la contrebande d'armes et entrenait des liens avec les services de renseignement. Il sera condamné à la prison à perpétuité et meurt à l'âge de 83 ans après avoir toujours nié les faits. Son fils, Alejandro Puccio, malgré quatre tentatives de suicide, passera plus de vingt ans en prison avant de mourir peu après sa libération en 2008.
Ce neuvième long-métrage du réalisateur Pablo Trapero n’est pas coproduit par hasard par Pedro Almodovar (et son frère Agustin, El Deseo produccion). On retrouve l’humour noir des « Nouveaux sauvages », film à sketchs récemment produit par les Almodovar : « J’ai été content de constater que le film a reçu un bon accueil à Venise, avec le même enthousiasme et la même émotion que le public argentin », a dit le réalisateur de 43 ans, qui avait une douzaine d'années au moment des faits relatés. En effet, lors des deux premières semaines d'exploitation dans les salles de cinéma argentines, « El Clan » a attiré un million et demi de spectateurs, mieux que le record établi l'an dernier par « Les Nouveaux sauvages », et que toutes les superproductions américaines. Habitué de la sélection « Un Certain Regard », du festival de Cannes (trois de ses films ont été en lice dans cette catégorie), Pablo Trapero en a également présidé le jury en 2014.
El Clan? Un film dérangeant, surprenant, donc un bon film...
El Clan (Argentine).
Réalisateur : Pablo Trapero
Avec Guillermo Francella, Peter Lanzani, Lili Popovitch,
Producteur : Pedro Almodovar
Sortie le 12 février 2016 - Durée: 1h48
Copyright affiche : © El Deseo
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