Marion Cotillard : une Lady Macbeth bouleversante
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Monter L'Ecossaise au cinéma, plusieurs s'y sont essayés ( et non des moins grands, comme Orson Welles en 1948 ou encore Roman Polanski en 1971) et peu ont eu le succès escompté...comme si, même derrière la caméra, la malédiction de la pièce restait tenace. Justin Kurzel s'y attelle dans une production franco-americano-britannique ambitieuse qui a choisi pour incarner Lady Macbeth, l'un des rôles féminins considérés comme les plus difficiles du répertoire occidental, oscillant entre désespoir et manipulations machiavéliques, remords et folie, l'incontournable...Marion Cotillard.
On vous évitera le résumé de cette tragédie fantasmagorique où les affres du pouvoir et l'hybris humaine se déploient au sein de contrées hostiles. Cette Ecosse maudite où le brouillard ténu assombrit et embrouille les âmes et dans laquelle les prophéties des "oracles imparfaits", les Sœurs du Destin, deviennent des malédictions. " Jamais je n'ai vu jour si noir et si clair" soupire Macbeth, presqu'à l'ouverture. Dans cette fable morbide, la mort rôde comme un métronome bien réglé et insatiable. "Rien de cela n'est réel" se persuadera-t-il plus loin et voilà le premier point sur lequel l'on peut saluer le film : le travail de restitution des aspects surnaturels de la pièce est d'une grande qualité. Les fantômes hantent les paysages, sont des spectateurs patients et inquisiteurs d'un Macbeth qui sombre progressivement dans l'abîme sans fond de la folie.
Justin Kurzel fait évoluer les personnages au sein d'une nature vertigineuse de beauté sauvage et s'est entouré d'une équipe qui a su créer un décorum sur-réaliste splendide ( les costumes, les maquillages, les coiffures sont de grande qualité) qui contribuent à magnifier la peinture glaçante d'un homme vivant dans la hantise de se voir dépossédé de son trône et qui décide d'assassiner tous ceux qui pourraient le lui ravir , "emprisonné par le doute et la peur".
Dès la première bataille, étourdissante de vacarme, de violence et de sauvagerie primitive, où le réalisateur choisit d'insérer des séquences au ralenti qui permettent d'éprouver davantage l'horreur d'un égorgement, la texture d'un geyser d'hémoglobine stomacale ou encore la retombée pesante d'un cadavre fraîchement cueilli par la grande faucheuse sur la plaine, jusqu'aux flammes rougeoyantes des bois de Dunsinane qui préviennent Macbeth de l'heure du grand châtiment, tout est minutieusement calculé dans le travail de l'image pour illustrer cette phrase de Shakespeare : "La vie n'est qu'une ombre en marche".
Si, assurément, certains puristes pourront reprocher à Justin Kurzel une certaine vulgarisation de la pièce : il y a en effet force combats où les cliquetis du métal et le sang qui gicle s'en donnent à cœur joie; de nombreuses redondances visuelles et des leitmotivs insistent et cherchent à bien imprimer dans le cerveau du spectateur les atermoiements de la raison, les fulgurances de la folie, les conséquences du pouvoir destructeur et la fatalité temporelle qui rend impossible le retour en arrière ...Lady Macbeth répète ainsi, à plusieurs reprises, " Ce qui est fait ne peut être défait". Le mythe de Shakespeare est cependant respecté et remarquablement illustré de façon métaphorique par l'image tout au long du film.
Dans cette longue nuit qui n'accordera aucune miséricorde aux époux criminels, les puissances maléfiques de l'ambition et le désespoir ne seront jamais rassasiés et Justin Kurzel fait rougeoyer progressivement les bruyères et les fougères des Highlands jusqu'à la Chute.
Un mot sur le casting? Irréprochable. Michael Fassbender incarne avec une virilité troublante un Macbeth qui évolue du rôle de vassal au cœur vaillant et fidèle au bon roi Duncan à celui de tyran sanguinaire qui perd toute lucidité. A ses côtés, Paddy Considine confère au personnage de Banquo une intégrité et une discrétion sensibles, reflet insupportable pour Macbeth de ce qu'il a perdu en baignant ses mains dans le sang. David Thewlis est un bon roi Duncan à la physionomie bonhomme. Sean Harris ( Macduff) livre un duellum final contre Macbeth d'une grande émotion. Enfin, Marion Cotillard s'avère une Lady Macbeth bouleversante. Littéralement effrayante dans ses prétentions au trône pour son époux, véritable serpent au visage d'ange, elle manipule Macbeth avec une détermination aussi glaciale que ses artifices charmeurs réchauffent les sens d'un mari complètement déboussolé par les répercutions charnelles de leurs fomentations. Elle offre ensuite un visage qui ne cesse de pâlir devant le monstre qu'il a engendré. Ses yeux bleus savent ainsi tout autant glacer qu'être le reflet pur d'une noyée contrite, attendant son passage sur les rives du Styx. Justin Kurzel joue dans de nombreuses séquences avec des effets superbes de clair-obscur, notamment dans la petite chapelle où se noue la destinée de ce couple maudit, et imagine une scène superbe de monologue pour l'actrice où elle apparaît comme une véritable Madone, l'œil baigné de larmes de repentir, la tête auréolée d'une voile blanc, symbolisant le linceul dont son âme s'est déjà drapée.
Il règne dans ce long-métrage un combat permanent entre le Bien et le Mal, où les puissances occultes et obscures arbitrent et jugent, sans sembler intervenir, la fragilité humaine et ses vices. Macbeth et sa Lady sont condamnés à sentir ruisseler sur leurs mains le sang du bienveillant Duncan jusqu'aux Enfers. Aucun échappatoire. " Souvent, pour nous perdre, les ministres des ténèbres nous disent la vérité". Vous voilà prévenus.
Macbeth
Date de sortie: 18 novembre 2015 (1h53min)
Réalisé par Justin Kurzel
Avec Michael Fassbender, Marion Cotillard, David Thewlis, Paddy Considine, Jack Reynor, Sean Harris, Elizabeth Debicki...
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