Everybody knows : rancoeurs intestines macérées et secrets de famille décantées aux coupures de journaux assassines
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ A l’occasion du mariage de sa soeur, Laura est de retour, en compagnie de ses enfants, dans son village natal au coeur d’un vignoble espagnol. Une atmosphère de fête pétillante ne réussit cependant déjà point à ne pas laisser transparaître certains malaises et tensions au sein d’une famille unie mais qui s’est forgée au fil des années des idées reçues sur les uns et les autres.
Laura, par exemple, est secrètement enviée par tous ceux qui s’imaginent que son mariage avec un argentin est synonyme d’opulence. Paco, son amour d’enfance, issu quant à lui d’une famille « de domestiques », est objet de jalousie ( auprès de ses pairs qui n’ont pas eu la chance d’obtenir des terres viticoles à bas prix…) et de rancoeur ( de la part de ceux qui les lui ont vendues parce qu’ils se trouvaient désargentés). Ainsi se tissent au fil des minutes deux portraits qui s’entremêlent et se complètent : celui d’une famille, lourde de secrets et de non-dits, et celui d’une Espagne qui porte encore les stigmates de la révolution sociale espagnole.
Alors que les noces s’éternisent en chants heureux et danses sous les étoiles estivales, un évènement aussi inattendu que dramatique vient bouleverser la vie de cette famille et de son entourage, faisant ressurgir un passé depuis trop longtemps enfoui…
Saluons la qualité de la photographie, superbe, aussi sensible que sensorielle, qui offre de sublimes portraits de personnages et des immersions délicieuses et pittoresques dans des paysages de verdure ou de vieilles pierres. Les premières minutes du long-métrage prennent le temps de planter le décor et les relations entre les personnages et, s’il y aura peut-être des détracteurs de ce rythme traînant, on arguera qu’elles permettent d'opposer plus fortement ensuite un contraste aussi saisissant que brutal avec le basculement de la fiction dans le drame. Enquête à tiroirs judicieusement ouverts grâce à l’aide d’un ex-flic-pythie qui désarçonne les concernés autant qu’il les divise et les malmène, « Everybody knows » brouille à plaisir la frontière entre vérité et mensonge, offre des visages de femmes et d’hommes qui, derrière leur sourire bienveillant et complice, cachent tous des rancoeurs, des douleurs intestines et des fragilités qui ne demandent qu’à percer. La fin du film, autour d’une table de terrasse de café, derrière les pleurs hypallages d’un jet d’eau qui nettoie le sol, est remarquable. Elle exprime avec une rare émotion, tout à la fois pudique et terrible, la tragique pesanteur des réalités familiales.
Concluons sur le casting impeccable…Pénélope Cruz séduit dans son rôle de mère bouleversée et d’amante et épouse contrariée, Ricardo Darin incarne un mari désorienté et fragile qui contraste avec pertinence avec Paco ( Javier Bardem), charismatique et imposant dans son rôle de vigneron affable et ami (trop) proche de cette famille; Eduard Fernandez touche en tant que Fernando, beau-frère présent et témoin de longue date des scènes qui se jouent au quotidien; Elvira Minguez ( Mariana) s’avère d’une justesse aussi bouleversante que toute contenue; Barbara Lennie joue Bea avec grâce et sincérité ; Carla Campra s’impose comme une comédienne en devenir prometteuse, attrayante de spontanéité et de fraîcheur.
Un beau film assurément, qui sait tout à la fois ménager des minutes de tension terribles et des moments d’intimité poignantes par le truchement d’une caméra de fort belle facture et sensibilité!
Everybody knows
Date de sortie : 9 mai 2018
Durée : 2h12min
Réalisateur : Asghar Farhadi
Avec Penélope Cruz, Javier Bardem, Ricardo Darín, Eduard Fernandez, Ramon Barea, Barbara Lennie, Inma Cuesta, Elvira Minguez, Carla Campra, Sara Salamo, Roger Casamajor…
Film découvert le 8 mai 2018 en avant-première au Cinéma Diagonal ( Montpellier - 34)
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