Vers la lumière : « Rien n’est plus beau que ce que l’on a sous les yeux et qui s’apprête à disparaître. »
- Écrit par : Julie Cadilhac
Par Julie Cadilhac - Lagrandeparade.fr/ Misako compose des textes pour l’audiodescription de films. De nature un brin insaisissable et rêveuse, elle semble toujours flotter au milieu des mots qu’elle use sans cesse pour décrire les objets, les paysages, les situations qui l’entourent. Depuis le décès de son père, elle voit sa mère décliner et perdre doucement la raison. Les visites qu’elle lui rend sont toujours prétexte à un retour en enfance derrière laquelle elle court désespérément. Lors d’une projection, elle fait la connaissance de Masaya, un ancien photographe de renom, au caractère marqué, dont la vue se détériore irrémédiablement et qui sombre doucement dans une dépression sourde. Son appareil-photo, c’était son coeur ; son art, c’était sa raison d’exister… Aigri, ce dernier reproche à Misako d’être trop intrusive dans son travail : « Si tous les interstices sont emplis par des mots, ça peut être gênant. » Entre cet homme qui perd la lumière et cette jeune femme en quête d’un coucher de soleil originel, des sentiments puissants vont cependant naître. « Vers la lumière » est une ode bouleversante à la lumière, au cinéma et aux mots, ouvroirs potentiels extraordinaires d’émotions.
Dans ce film virtuose, applaudissons d’abord le casting parfait : Masatoshi Nagase en homme brisé qui devient peu à peu un handicapé sensoriel totalement privé de la vue, et Ayame Misaki, aussi rayonnante que touchante de fragilité dans le rôle de Misako, forment un duo brillant. Les personnages secondaires sont également interprétés avec une grande sensibilité - les scènes - notamment - de test des textes d’audiodescription sont passionnantes autant pour la justesse du jeu des acteurs que pour leurs répliques empreintes de poésie et d’intelligence.
Félicitons ensuite la photographie, métaphore de la sensorialité, sublime de grâce, de force évocatrice et d’onirisme. Jouant des halos de lumière, taquinant notre perception visuelle, tantôt elle nous étourdit de mouvements, tantôt se fige sur le velouté de la peau de Misako, tantôt nous immerge en contre-plongée dans une forêt oppressante où l’on cherche là-haut les rayons du soleil…Souvent caméra subjective, elle montre la fenêtre qui se réduit comme peau de chagrin du champ visuel de Masaya, éblouit et se pique d’éclats de lumière, de points lumineux colorés quand elle entoure les rêves éveillés de Misako. Elle s’accompagne d’une bande sonore, aussi délicate que remarquable, composée de la musique du talentueux Ibrahim Maalouf qui a inventé une musique à la fois mélancolique et enveloppante et de bruits appartenant au quotidien des non-voyants ( le tapotement du bâton sur le sol, le bruit métallique d’une rampe froide…).
Le scénario, pour finir, est une petite merveille empreinte de sagesse et de délicatesse. D’une pudeur opportune, il raconte la rencontre lumineuse de deux êtres qui fuient une réalité qui les effraie et apprennent à appréhender le monde autrement. Elle, se réfugie dans « le carcan des mots », lui, n’imagine de liberté que dans la lumière. Ils se rejoignent au bon moment, expérimentant « la beauté et la tristesse des choses qui périssent » et s’ouvrent ensemble à la potentialité naissante d’autres sensations à vivre. Le toucher est ainsi un exutoire sensuel qui irise de manière émouvante l’image. Une jeune femme qui « espère un espoir plus tangible » et « adorait courir après le coucher du soleil », une statue de sable « qui disparaît sans laisser de trace », un corps qui s’éveille, une photo pour ne pas oublier, une projection de soi-même et un « Je viens à toi » en fermeture... qui n’admet pas d’autre conclusion que celle d’avoir face à soi un film magnifique…d’une empathie bouleversante.
Vers la lumière
Date de sortie : 10 janvier 2018
Durée : 1h 41min
Réalisatrice: Naomi Kawase
Avec Masatoshi Nagase, Ayame Misaki, Tatsuya Fuji, Kazuko Shirakawa…
Compositeur : Ibrahim Maalouf
Découvert en avant-première, le 9 janvier 2017 au Cinéma Diagonal - Montpellier( 34)
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